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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/897

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V


Qui n’entrevit Satan ? mais qui peut le décrire ?
Quel homme, ayant vécu, n’entendit pas son rire ?
Ce rire de l’abîme à l’heure où nous tombons ;
Nous l’avons connu tous, hélas ! même les bons.
Pourtant, lorsqu’il médite une attaque nouvelle,
Nul ne devine plus en lui l’ange rebelle,
Tant il sait sous le fard, sous l’éclat déployé,
Effacer les sillons de son front foudroyé ;
Tant son or emprunté luit sur ses ailes sombres ;
Tant il s’orne à propos de lumières ou d’ombres !
A voir ses yeux d’azur, ses cheveux blonds et fins,
Qui ne l’a pris souvent pour un des séraphins ?
Dans les lieux les plus purs il nous cache ses piéges,
Ses feux infects couvés sous les plus blanches neiges.
Nul ne peut dénombrer les formes qu’il revêt.
L’innocence en dormant l’entend sur son chevet.
Il surgit de la lampe et des piliers du temple,
De l’austère cellule où le sage contemple.
Il se sert contre nous de nos meilleurs penchans ;
Il force à nous tenter même les fleurs des champs,
La colombe, le lis, créatures fidèles,
Et dont rien n’a terni le calice et les ailes.
Mais le cœur est son lieu, c’est là qu’il vit toujours ;
Vaincu même, il s’y cache en de secrets détours ;
Il sait le faible endroit de l’ame la plus forte ;
Dans toute région l’homme avec soi l’emporte.
Dans la nature même, elle que Dieu conduit,
Le noir esprit du mal sur nos pas s’introduit.
Il suit la liberté si loin qu’elle pénètre,
Avec elle il sortit des mystères de l’être ;
Il est né de ce jour où, créant le désir,
Dieu fit don à l’esprit du pouvoir de choisir.
Et le rusé démon, dans ses métamorphoses,
Dispose en souverain de la forme des choses.
Contre l’être inconnu qui met le doute en lui
D’horreur ou de beauté s’arme-t-il aujourd’hui ?
Quel sphinx ou quel serpent, quel ange au front mystique,
Cache à l’Adam nouveau le séducteur antique ?
Et qui le peindra tel qu’aidé de tout son art,