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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/915

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comédiens ambulans. Dans Dombey-and-son, tout le monde part. Florence et son frère partent pour Brighton, M. Dombey pour Leamington, Walter Gay pour les Grandes-Indes, et Solomon Gills pour on ne sait où. L’essentiel c’est qu’on s’en aille ; une fois parti, le reste se trouvera. Ceci n’empêche pas qu’il n’y ait dans le nouveau roman de Dickens des traits d’une beauté singulière, d’une extrême vigueur et, disons-le bien, d’une incontestable poésie.

Le principal moyen poétique de Charles Dickens réside, comme chez les Allemands, dans l’intervention des élémens ou d’une chose inanimée ; il tire de là parfois les plus heureux effets. Ainsi, dans Martin Chuzzlewit, c’est le vent soufflant à travers les plaines de Salisbury qui fait comme le refrain de la ballade. Dans l’Horloge de maître Humphrey, c’est le bourdon de Saint-Paul ; dans le Cricket, c’est le cri-cri lui-même ; dans Dombey, c’est la mer. Chaque vague qui, aux galets de la plage, jette la frange de son écume argentée apporte au cœur de l’enfant maladif des paroles mystérieuses, des paroles que lui seul comprend. Comme ce pauvre petit n’est autre que la moitié absolument nécessaire de la maison Dombey père et fils, comme il est indispensable qu’il sache augmenter ses immenses richesses avant même de savoir si jamais il en jouira, son père ne trouve rien de mieux que de le placer à Brighton dans la pension célèbre du docteur Blimber. Bien que fort précoce, on conçoit qu’en fait de latin et de grec le jeune Dombey ne porte qu’un mince bagage avec lui. Miss Cornelia Blimber devient donc pour le moment l’institutrice de l’enfant, et le seul aspect de ce bas-bleu a de quoi vous glacer. Cornelia ne vit qu’avec les morts, et, ainsi que sa mère, passe ses jours à accuser le destin qui ne l’a point voulu faire naître du temps de Cicéron. On devine qu’en pareille compagnie le pauvre petit Dombey languit et s’étiole. Des lunettes vertes de sa pédante maîtresse se projette sur lui je ne sais quelle lueur blafarde ; à sa poitrine fatiguée n’arrive qu’un air poudreux surchargé des émanations malsaines de vieux livres moisis, parfum favori de la docte fille, qui, pour tout délassement, s’occupe à « fouiller comme un fossoyeur les tombeaux des langues mortes. » De cette cage pourtant l’enfant a vue sur la mer, et le murmure des vagues lui livre sans cesse le secret de sa triste destinée. Il s’habitue peu à peu à la mort, ou plutôt à la séparation passagère d’avec ceux qu’il aime, car, ainsi que tous les êtres flétris dès l’entrée de la vie, il entrevoit le ciel d’où son ame est à peine descendue, et, au moment de quitter la terre : « Florence, » dit-il, faisant allusion à un tableau du Christ qu’il aimait à contempler à la pension, « dites-leur que ce n’est pas assez divin. A mesure que je m’en vais, je vois briller plus clairement la lumière qui couronne la tête. » Puis reviennent alors, comme refrain, faisant chœur et expliquant en