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en renouvelant avec son neveu l’alliance des deux états, lui écrivit secrètement pour lui demander l’extradition des assassins de sa maîtresse, et, en échange, lui offrit quelques bannis castillans qui vivaient tranquilles à sa cour. À cette époque d’anarchie féodale, l’extradition des bannis était une idée nouvelle et tyrannique. La noblesse, qui prétendait au droit de changer de patrie suivant son intérêt, ne pouvait voir sans indignation une pareille atteinte portée à ses antiques privilèges. Au contraire, les rois, et les rois absolus comme don Pèdre, n’aspiraient qu’à les détruire. Le cruel échange proposé par le Portugais, et accepté avec joie par son allié, livra aux plus épouvantables supplices des malheureux qui se reposaient avec confiance sur le droit d’asile. Parmi les premiers réclamés par le roi de Castille, était Pero Nuñez de Guzman, autrefois adelantade de Léon, qui venait de lui échapper peu avant l’expédition du comte de Trastamare. Il alla mourir à Séville, après avoir souffert, sous les yeux mêmes du despote qu’il avait offensé, d’horribles tortures qui indignèrent jusqu’aux plus fidèles serviteurs de don Pèdre. Pierre de Portugal se montra reconnaissant et lui paya le sang que, de son côté, il avait eu le plaisir de répandre ; il mit à sa disposition six cents lances pour la prochaine campagne contre l’Aragon[1].


V.

La bataille de Najera, la déroute de don Henri, et surtout l’active persévérance du cardinal-légat, avaient amené une sorte de suspension d’armes tacite entre les deux puissances belligérantes. Le cardinal avait obtenu de don Pèdre la promesse de reprendre les conférences de Tudela, et n’oubliait rien pour renouer les négociations déjà deux fois rompues. Bien que moins porté que jamais à rien céder de ses prétentions, don Pèdre feignit quelque déférence pour le saint-siège et désigna Gutier Fernandez pour son plénipotentiaire. Qu’on ne s’étonne point que le roi, instruit comme il l’était alors de la correspondance de son ministre avec l’infant d’Aragon, lui confiât de nouveau une mission de cette importance. Il avait ses desseins. Patient pour se venger, il savait caresser jusqu’à ce qu’il pût frapper à coup sûr. D’ailleurs, Fernandez à Molina, sur la frontière d’Aragon, entouré de ses vassaux

  1. Ayala, p. 310 et suiv. — Après avoir fait torturer long-temps en sa présence Pero Coelho, un des assassins d’Inès, le roi de Portugal ordonna de lui arracher le cœur. « Fouille à gauche dans ma poitrine, » dit Coelho à l’exécuteur des hautes œuvres, « tu trouveras un cœur plus grand qu’un cœur de taureau et plus fidèle qu’un cœur de cheval. » Colleccâo de ineditos de Historia portugueza, t. V, p. 126. Coelho, en portugais, signifie lapin. Ce nom fournit au roi une affreuse plaisanterie qui peint les mœurs de l’époque. En voyant le prisonnier il s’écria : « Qu’on fasse venir du vinaigre et des oignons ; on va me fricasser ce lapin. »