Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/946

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’accaparement religieux. Dans cette même période où le paupérisme a triplé, la Belgique a vu se fonder, se développer et s’enrichir plus de quatre cents maisons religieuses, et il est aisé de comprendre quelle absorption de forces productrices et d’élémens rémunérateurs doivent faire ces accaparemens combinés. On en contestera la désastreuse influence ; on dira qu’il ne s’agit après tout ici que d’un déplacement partiel du capital et de la propriété foncière, déplacement où le prolétariat, foyer naturel du paupérisme, n’a rien à perdre, par la raison qu’il faut toujours des bras pour exploiter la terre et des bras aussi pour vivifier les capitaux, quelle que soit d’ailleurs la classe possédante. Cette objection n’est que spécieuse : elle échoue des deux côtés devant l’examen des faits locaux. D’abord, une bonne partie du numéraire détourné par les couvens sort de Belgique et s’en va à Rome, à Vienne, à Paris même, dans la caisse centrale des différens ordres. Une autre va pensionner les écoles secondaires du clergé et grever ainsi indirectement, sans profit pour la classe ouvrière, la masse des contribuables, qui subventionne les collèges de l’état, constitués souvent en déficit par cette concurrence. Une autre enfin est affectée à la publication des journaux, des livres, des pamphlets du clergé. Le reste a servi, jusqu’à présent, à improviser par voie de prêts, dans les villes où il s’agissait de défendre une position électorale, des patentés, de petits marchands que les besoins de la consommation n’appelaient pas, qui dès-lors n’offrent aucun débouché nouveau à la production manuelle et ne vivent qu’aux dépens des marchands déjà établis[1]. Les excédans du revenu que le clergé régulier tire de ses immenses acquisitions territoriales prennent les mêmes routes. Le fait même de ces acquisitions a puissamment contribué, en second lieu, à activer les progrès du paupérisme, et voici comment : à part de rares exceptions, les couvens acquéreurs n’ont pu jeter leur dévolu ni sur la grande, ni sur la moyenne propriété. L’une est le patrimoine presque exclusif de l’aristocratie, et l’esprit de famille en interdit, dans la plupart des cas, l’aliénation ; l’autre est directement exploitée par les propriétaires eux-mêmes, qui ne sauraient trouver, dans le prix de vente, une compensation au déplacement onéreux qu’ils devraient subir, et à la perte de leur travail,

  1. De 1831 à 1845, le revenu des patentes a plus que doublé. Si l’on remarque, d’une part, que les seules modifications apportées dans cette période au régime des patentes consistent en dégrèvemens ; d’autre part, que les grandes industries, les grandes raisons commerciales sont celles qui tendent le moins à se multiplier, ce qui n’a pas besoin d’explication, et que l’accroissement a dû porter presque exclusivement sur la catégorie des petits patentés, dont il faut un plus grand nombre pour composer la même somme de revenu, on peut induire, sans la moindre exagération, de cet accroissement de revenu, que le nombre des patentés a au moins triplé. Ce fait est hors de toute proportion avec la progression industrielle et commerciale du pays, et donne la mesure des expédiens électoraux du clergé.