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rôle et imposer cette fois leur programme tout entier au cabinet, qui n’aurait plus le droit d’opposer à leur impatience des calculs de conciliation désormais avortés, inutiles. Les ultra-conservateurs, qui hésitaient déjà à suivre M. Rogier sur le terrain de l’adjonction des capacités, allaient infailliblement le laisser s’engager seul dans ces parages maudits qui s’étendent du cens à 20 florins au suffrage universel.

Telles sont les difficultés que la coalition victorieuse rencontrait à ses premiers pas. La nouvelle majorité n’était pas encore constituée qu’elle se voyait déjà menacée d’une dislocation. La sagesse des chefs de la coalition a ajourné la première de ces difficultés ; l’imprévu les a tranchées toutes deux.

Pendant deux mois qu’a duré la crise d’où le premier ministère libéral est sorti, M. Rogier n’a pas eu à se heurter un seul instant contre ces susceptibilités individuelles, ces intérêts de coterie qui rendent d’ordinaire si difficile la mission d’un chef de coalition appelé à faire à chaque allié sa part. Loin de là : dans cette agglomération de fractions encore distinctes, bien qu’animées déjà du même esprit, et dont chacune avait ses droits acquis, ses chefs à mettre en avant, c’était à qui ne serait pas ministre. MM. Lebeau et Devaux, dont les noms semblaient accolés de fondation à celui de M. Rogier ; MM. Dumon, de Brouckère et d’Elhoungne, que l’opinion désignait après eux ; M. Verhaegen, l’agitateur habile et désintéressé qui, après avoir organisé la ligue maçonnique, a su plier cette force réputée indisciplinable au joug des nécessités gouvernementales ; les notabilités les plus méritantes, les ambitions les plus légitimes, en un mot, se sont effacées comme d’un commun accord, se bornant à donner aux choix de M. Rogier un complet assentiment. Ces abstentions simultanées ont eu pour résultat, d’abord, d’anéantir toute arrière-pensée défiante et jalouse entre les anciens doctrinaires et l’ancienne gauche ; — en second lieu, de soustraire le nouveau cabinet au danger d’un fractionnement d’influence, en concentrant toute action dirigeante sur M. Rogier, c’est-à-dire sur l’homme qui a opéré en 1841, cimenté en 1846 le rapprochement de ces deux fractions, et qui, par son programme, les personnifie toutes deux ; — en troisième lieu enfin, de permettre l’accès de la nouvelle administration aux représentans du groupe ultra-modéré, dont la rupture ouverte avec les catholiques ne date, à proprement parler, que du dernier avènement de M. de Theux, et qu’il s’agissait de river à la coalition par la solidarité du pouvoir. C’est ainsi que le portefeuille des affaires étrangères est échu à M. d’Hoffschmidt, dont personne, jusqu’aux premiers mois de 1846, n’avait soupçonné, que je sache, le libéralisme, mais qui, à cette époque, où la simple neutralité avait, aux yeux des libéraux, la valeur d’une adhésion, n’hésita pas à s’associer à la démission de M. Van de Weyer. M. Dehaussy, le nouveau ministre de la justice, peut lui-même