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un nouveau degré d’hostilité contre la Prusse. Les hommes d’état catholiques ne sauraient en effet pardonner au cabinet de Berlin d’avoir détruit en quinze jours, par ses représailles de 1844, les deux bases, commerciale et maritime, du système d’isolement européen qu’ils avaient mis treize ans à édifier. En supposant d’ailleurs qu’un intérêt encore inaperçu de tactique les portât à répondre plus tard aux cajoleries de la Prusse, ils n’auraient aucune chance d’entraîner à leur suite l’esprit flamand, qui s’est désormais tourné vers le parti libéral. Il vient de se passer, à cet égard, un fait très significatif. La plus importante des Sociélés de rhétorique flamande, espèces d’académies locales où s’élabore cet esprit, l’Olyftak d’Anvers, a exclu dernièrement de son sein, comme hostiles au libéralisme, trois de ses principaux écrivains, et de ce nombre était M. Conscience, encore enivré de l’encens royal que venait de lui offrir sa majesté prussienne. La propagande teuto-flamande repose en résumé sur un double contre-sens ; elle a pris pour point d’appui deux intérêts qui la repoussent et qui se repoussent entre eux. Ce n’est pas tout ; elle aliène au Zollverein le seul auxiliaire qu’il eût en Belgique : le libéralisme wallon.

Les libéraux wallons, par une conséquence naturelle des préjugés et des fausses craintes qui leur ont fait repousser, pendant dix-sept ans, l’alliance française, affichaient jusqu’ici une propension marquée vers l’alliance prussienne. Les intérêts locaux favorisaient à quelques égards cette tendance. Sans repousser la France, qui est leur principal débouché, les deux plus importantes industries wallones, la métallurgie et les houilles, fondaient certaines espérances sur le marché rhénan. C’est même par déférence pour la première de ces industries qu’a été conclu le traité belge-prussien du 1er septembre 1844. La Prusse pouvait se ménager là une diversion favorable à ses desseins ; elle ne l’a pas compris. En exhumant contre le nouveau cabinet le vocabulaire injurieux de l’ancien parti catholique flamand, la Prusse a blessé et gratuitement blessé les Wallons dans leurs susceptibilités politiques et dans leurs susceptibilités de race, et voilà qu’aujourd’hui, comme si elle avait pris à tâche de ne pas laisser le moindre prétexte à leur bienveillance, elle surtaxe les houilles belges à l’entrée du Zollverein[1]. Ces deux mécomptes coup sur coup sont de nature à calmer la teutomanie des wallons. En somme, le gouvernement prussien, qui se vante de germaniser la Belgique, s’est visiblement calomnié ; l’union douanière franco-belge n’a pas d’auxiliaire plus utile. Il brisait, il y a trois ans,

  1. Cette surtaxe est un curieux corollaire du traité de 1844. La Belgique, pour prix de l’abandon de ses ports et de son transit, se trouve maintenant placée en Allemagne sous un régime douanier moins favorable que celui dont elle jouissait avant ce sacrifice.