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s’élèvent tour à tour les jurisconsultes, puis les réformateurs religieux, enfin les philosophes. L’absolutisme de la religion a suscité l’audace de la pensée. Qu’en conclure, si ce n’est que la papauté, et ce n’était pas son dessein, a puissamment servi l’indépendance de l’esprit humain ?

Sur d’autres points, pour les relations des peuples entre eux, et aussi pour leur administration intérieure, la papauté n’a pas moins mérité de la sociabilité moderne, et cette fois elle eut souvent l’intention du bien qu’elle faisait. Se considérant elle-même et reconnue comme la source de tout droit, elle était investie d’une autorité générale qui lui permettait de se porter partout médiatrice souveraine. De nos jours, on discute beaucoup sur l’intervention ; au moyen-âge, la papauté avait tranché la question de haut ; elle intervenait partout. Dès la fin du XIe siècle, elle se mêlait des affaires de l’Europe ; elle adressait des conseils, des directions à la France, à l’Angleterre, à l’Espagne, à la Bohême, et, tout en réglant sa conduite sur la manière dont ses avis étaient reçus, elle persévérait dans la prétention d’imposer sa suprématie. Nous assistons, dans le XIIIe siècle, aux progrès que la papauté doit à son habile constance. Toutes les parties de l’Europe, la Scandinavie, l’Islande, la Hongrie, le Portugal, sans compter les états dont nous avons déjà parlé, tout enfin dans le monde recevait de la papauté, planant au-dessus des intérêts individuels, des influences salutaires, de hautes inspirations.

Maintenant voici la part des passions humaines. Le droit d’intervention que s’était arrogé la papauté allait nécessairement jusqu’à disposer des couronnes et à détrôner les rois. La conséquence était rigoureuse et la pente irrésistible. Seulement il fallait que cette puissance si absolue ne s’exerçât que contre l’iniquité et la tyrannie. Pour être bénie des nations et soufferte par leurs chefs, elle avait besoin de s’appuyer sur une justice dont la pureté ne fût jamais ternie par des calculs particuliers. Or, comment, en Italie, la papauté pouvait-elle rester étrangère aux passions, aux combinaisons politiques ? Là, ce n’était plus tant cette magistrature souveraine de laquelle relevaient tous les pouvoirs et toutes les juridictions de l’Europe, qu’un gouvernement temporel, avec ses conditions, ses exigences et ses inévitables rivalités. L’arbitre du monde était effacé par le prince italien.

Ici, du domaine de la théocratie, nous passons à des complications, à des intrigues qui, à chaque instant, varient l’aspect de la scène. Comme souverain temporel, comme héritier des dépouilles des exarques grecs et des Lombards, le pape change sans cesse d’alliés et d’ennemis. L’ami de la veille devenait presque toujours l’adversaire du lendemain, tant il y avait dans les affaires italiennes de mobilité et d’anarchie. Ce ne fut qu’au milieu du XIIe siècle que la politique temporelle des papes eut un caractère de persévérance et de grandeur, parce