aucun endroit de la Pologne pour l’avènement des idées modernes. Dans la pensée des gentilshommes de cette province, c’était une affaire d’honneur de prendre la tête du mouvement polonais : Posen n’avait pas bougé depuis les guerres de l’empire ; Posen devait cette fois marcher en avant. Pour beaucoup d’entre eux, il y avait là quelque chose de plus encore qu’une question d’orgueil provincial, il y avait le besoin d’une réhabilitation de famille : beaucoup comptaient au nombre de leurs ancêtres quelqu’un de ces confédérés de Targowiça qui livrèrent la Pologne aux Russes en 1792. Les maisons dans lesquelles il y a des « fils de Targowiça » sont restées marquées d’une flétrissure qui leur impose l’expiation comme un devoir : il faut racheter, en se dévouant, la honte du crime paternel. Ceux qui n’auraient pas choisi pour elle-même la cause démocratique l’embrassaient cependant comme une occasion d’infini dévouement.
Cette cause devint ainsi une religion dans Posen, et, comme toute religion, elle eut son fanatisme et son intolérance. Les démocrates rompirent violemment avec les aristocrates, et les deux partis se divisèrent par une scission plus violente que celle qui séparait les Polonais des Allemands. Les liens domestiques, si puissans en Pologne, furent convent ainsi relâchés ou brisés. On proscrivit les armoiries, et l’on faillit une fois brûler solennellement à la porte du bazar de Posen le livre d’or de la noblesse, le Blason de Niesiecki. On rétablit la vieille coutume qui commandait au seigneur d’avoir pour chaque repas un paysan à sa table. Dans le camp des démocrates, on se tutoyait sans distinction de rangs : on s’appelait frère ou citoyen, on signait ses lettres salut et fraternité. Les femmes, dont Dumouriez disait déjà qu’elles étaient « plus hommes que les hommes, » témoignaient d’un même zèle avec la même vivacité ; les mères faisaient épeler le Catéchisme démocratique à leurs petits enfans ; les jeunes filles n’acceptaient pour fiancés que des démocrates. La belle et riche comtesse Malczewsha s’habillait en paysanne.
La Pologne autrichienne se prêta moins facilement à la propagande. « En Gallicie, disait le Pfzonka, il faut avancer à coups de hache comme dans les forêts vierges de l’Amérique. » La Gallicie était, en effet, le sol privilégié des abus héréditaires, et il a tout de bon fallu la hache pour commencer à les extirper, mais ç’a été malheureusement par les mains de ce terrible pionnier qui s’appelait Szela, le paysan bourreau. L’empire de l’Autriche se défendait d’ailleurs de lui-même dans sa province polonaise, non pas à cause du bien qu’il y faisait, mais parce qu’il n’y amenait pas tout le mal qui se faisait ailleurs. Le czar a toujours tâché de russifier la Pologne et d’y mettre le culte grec à la place du culte catholique. Les Prussiens ont voulu germaniser, et la différence de religion n’a jamais cessé de les rendre suspects à leurs sujets de Posen.