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et de la pensée que se sont armés pendant quinze ans les apôtres de la révolution future. Il faut choisir quelques noms au milieu de cette élite. On peut d’ailleurs représenter assez bien le caractère et les vieux des différentes parties de la Pologne, en esquissant la vie de ceux qui, dans chacune d’elles, ont été les héros du mouvement démocratique. Nous prendrons, par exemple, pour la Lithuanie, l’émissaire Konarski et le chanoine Trynkowski, le poète Pol pour la Gallicie et la Wolhynie, Édouard Dembowski dans le royaume, le docteur Liebelt à Posen.

Le procès de Simon Konarski fut, il y a déjà plus de dix ans, pour toute la Pologne russe, le triste signal d’un surcroît de persécution. Le gouvernement impérial s’était enfin mis sur la trace des associations démocratiques. Le nom de Konarski rappelle ainsi l’une des dates les plus sanglantes dans l’histoire des souffrances de la Pologne, et son martyre, son héroïsme, l’ont rendu lui-même l’objet d’un véritable culte, non-seulement parmi ses compatriotes, mais jusque parmi les Russes. Konarski racontait souvent à ses amis comment le zèle de la propagande était entré si avant dans son ame. Il avait commencé par de terribles découragemens, ne trouvant pas l’ombre d’un sentiment national chez les paysans de Gallicie dont il sondait les dispositions. Peu s’en fallut alors qu’il ne renonçât à son œuvre, et il rebroussait chemin, quand à Koenigsberg il rencontra par hasard l’ancien ministre Schoen, un des plus nobles représentans de la grande époque libérale en Prusse. Schoen s’exprimait avec amertume au sujet de la révolution polonaise de 1831, et parlait de la responsabilité qui pèserait dans l’avenir sur tous les propriétaires de Pologne si leurs paysans n’étaient pas affranchis à l’heure ou les Russes marcheraient en guerre contre le monde civilisé et Il n’y aura jamais de salut pour la Pologne, disait-il, tant que la noblesse n’aura pas compris et réparé le mal qu’elle a fait aux paysans. » Cette parole d’un homme d’état qui avait lui-même travaillé à la régénération d’un peuple releva le courage de Konarski, et jamais plus il ne chancela dans sa voie. La Lithuanie devint le principal théâtre de son activité : jeunes et vieux, serfs et gentilshommes, lui témoignèrent les mêmes sympathies. Les idées de la démocratie se répandirent partout ; on dévora les œuvres des propagandistes, et des presses clandestines, fonctionnant la nuit à Wilna dans les caves des patriotes, reproduisaient hardiment les manifestes de la Centralisation.

Fidèle à sa maxime de ralliement universel, Konarski avait admis dans l’affiliation un marchand de vins juif qui, fort estimé de ses coreligionnaires, passait aussi pour bon Polonais. Ce fut celui-là qui le vendit moyennant 20,000 roubles et des lettres de noblesse. Konarski resta des années en prison, et sa prison fut féconde en tortures de toute sorte. Rien ne put cependant lui arracher une parole : ni la privation du dormir et du manger, ni les verges, ni la corde, ni les tenailles, ni le cheval chaud, ni enfin aucune de ces cruelles inventions qui attestent,