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Il empruntait aux socialistes de la France et de l’Allemagne les argumens qu’ils ont rebattus contre la bourgeoisie, pour guerroyer d’avance contre elle dans un pays où elle a tant de mal à paraître et qui a tant souffert pour ne l’avoir pas plus tôt enfantée. Pendant que Stahl défendait l’absolutisme en Prusse, au nom de la différence des races, c’était en l’honneur de cette même distinction, en vertu de cette même fatalité de la chair et du sang, que Liebelt concluait à la démocratie pour la Pologne. Selon lui, le Polonais, homme de la campagne, naissait démocrate, comme le Français ou l’Allemand, homme des villes, naissait bourgeois et bourgeois constitutionnel ; les paysans polonais étaient destinés à devenir d’eux-mêmes le type vivant de la démocratie. Or, qu’arrivait-il justement dans Posen tandis que Liebelt, les yeux trop fermés sur la situation présente, arrangeait l’avenir au gré de ses systèmes ?

Les démocrates repoussaient bien loin l’alliage bourgeois, les institutions de l’Occident, et ces institutions pénétraient chez eux de plus en plus par le canal de la Prusse. Le paysan polonais, qu’ils pensaient garder en réserve comme le représentant futur de l’idée sociale, était lui-même atteint par le flot de la civilisation étrangère ; il était ou porté ou submergé par ce flot puissant ; il se défendait si mal contre ses approches, que sa nationalité même risquait d’y périr. Toutes les théories germaniques du docteur Liebelt n’auraient servi de rien pour empêcher la germanisation de Posen.

Cette œuvre d’assimilation patiente, cette lente conquête de la Pologne par l’Allemagne est maintenant interrompue ; il n’en restera que les bons effets, dont elle aura été l’instrument providentiel : il était temps néanmoins qu’elle s’arrêtât. Le danger ne consistait pas seulement dans la dépossession du paysan polonais remplacé peu à peu par le colon de la Saxe ou du Rhin, il était surtout dans le relâchement presque universel du lien national entre les deux grandes classes de la population. Je crois bien que la justice prussienne n’a rien ménagé pour éclairer beaucoup cette révolution morale à l’occasion du complot de Posen ; mais elle n’a pas du moins inventé les traits caractéristiques qui ont montré là toute l’étendue de l’abîme. A chaque page des procès-verbaux, on voit les maîtres exhorter en vain leurs domestiques ou leurs paysans, mettre dans ces mains infidèles des armes qu’elles laissent tomber, tâcher enfin d’entraîner au combat ces soldats mal affermis en leur montant la tête avec de l’eau-de-vie ou avec des fables. — Vincent Chachulski réveille ses bouviers au milieu de la nuit et leur dit de prendre des haches pour aller au secours d’une écluse qui menace ruine. Sept hommes le suivent à grand’peine, et, le quittant au bout de quelques minutes, vont vite se cacher dans la forêt. — Léopold Mieczkowski donne à son intendant Redmann le commandement de