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se rattache à la loi de Moïse. Les sages de la Grèce vont s’instruire dans les rites mystérieux de l’Égypte. Rome emprunte la loi des douze tables à la Grèce. Grégoire VII fait sortir de la république chrétienne un catholicisme monarchique et conquérant. Luther, en proclamant la liberté religieuse, ne renonce ni à l’autorité ni à la grace. La révolution française, qui considère les titres du genre humain comme oubliés ou perdus, franchit un intervalle de deux mille ans pour aller les demander à Rome ou à la Grèce. Napoléon, pour donner de larges et solides bases à la société civile, pour rédiger les codes, interroge les annales, l’expérience et le bon sens de la nation.

Ceux qui prétendent refaire la société ne sont que des rêveurs ou des anarchistes. Tout le secret de ceux-ci consiste, comme on le dit hautement dans certains clubs, à mettre dessus ce qui était dessous, et à mettre dessous ce qui était dessus. Ils élèvent le désordre à la hauteur d’une théorie ; pour eux, renverser est tout ; ils ne songent pas à reconstruire. Par cela même, nous les croyons peu dangereux ; la société a besoin d’ordre et ne suit pas long-temps ceux qui la mènent à travers les ruines. Quant aux autres, quant à tous les esprits faux qui nous proposent un monde de leur façon, depuis les conceptions ultra-démocratiques d’Owen jusqu’aux théories ultra-despotiques de Saint-Simon, leurs systèmes dérivent d’une vue incomplète du cœur humain et de l’histoire ; ils ressemblent à ces monstres de la création, dans lesquels une partie du corps se trouve développée à l’excès et absorbe la substance de toutes les autres. Les uns sacrifient l’autorité à la liberté, les autres la liberté à l’autorité. En considérant l’état social, ils ne s’élèvent jamais à l’harmonie ni à une vue d’ensemble. Aussi leur influence ne peut-elle ni s’étendre ni durer. Elle passe comme un météore sinistre ; elle éblouit et n’éclaire pas. Entre les réformateurs et les niveleurs il y a un abîme. Luther a émancipé l’Allemagne, et les anabaptistes l’ont ravagée. L’assemblée constituante a proclamé des principes qui feront avec le temps la conquête du monde civilisé, et les doctrines de Baboeuf n’ont produit que des machinations contre l’ordre social, machinations absurdes autant que funestes.

On ne refait pas la société, parce que la société est l’œuvre de Dieu avant d’être l’œuvre des hommes. La Providence en a posé les bases et en a marqué les destinées. Les lois du monde moral aussi bien que celles du monde physique émanent de cette pensée éternelle et immuable. Nous ne sommes pas notre propre cause. Nous ne donnons pas l’impulsion à cette gravitation puissante qui entraîne les individus, les nations, le genre humain tout entier. Nous pouvons y associer nos efforts, mais voilà tout. La famille, la propriété, les droits et les devoirs, nous n’avons rien créé ; nous ne pouvons rien détruire. Pour changer la société, il faudrait changer la nature humaine, donner à l’homme d’autres