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change chevaleresque de bourse et d’épée, le mauvais lot était de mon côté. Cependant le désir d’apprendre de la bouche de don Blas jusqu’à quel point je devais craindre le ressentiment du bravo que le hasard pouvait encore me faire rencontrer me détermina à ne pas laisser échapper cette occasion. Je ne pris que le temps de jeter un manteau sur mes épaules, de cacher des armes sous mes habits, et je suivis le soldat. J’eus soin toutefois, en traversant la ville, qui devenait plus déserte à mesure que nous approchions des faubourgs, de marcher de préférence dans le milieu de la rue, de manière à voir venir tous ceux qui s’avanceraient vers moi, et à éviter les embûches que pouvaient cacher les inégalités des murailles. J’arrivai ainsi sans encombre, riant parfois de mes terreurs, parfois tressaillant à des bruits soudains, jusqu’à la garita (barrière) de Guadalupe. La nuit était des plus sombres, et les pluies de juillet (nous étions dans la première quinzaine du mois) s’annonçaient déjà par une brume pluvieuse qui rendait le pavé glissant.

— Y sommes-nous bientôt ? demandai-je au soldat en franchissant la barrière.

— Tout à l’heure, répondit-il.

Bientôt une pluie fine succéda à la brume. Nous étions parvenus sur la chaussée qui sert de voie de communication entre les lacs, sans que le soldat fît mine de s’arrêter encore. Un rideau de pluie, épaissi par le brouillard qui s’élevait des lacs, cachait les deux pics neigeux des volcans qui dominent la plaine. J’aperçus enfin à quelque distance scintiller faiblement, au milieu du brouillard, les vitres éclairées d’une maison basse. Bientôt un bruit confus de voix vint jusqu’à mon oreille. Arrivé à deux pas de la maison, le soldat frappa de sa baïonnette la porte, qui s’ouvrit ; puis il entra sans façon le premier en me faisant signe de le suivre. En toute autre circonstance, je n’aurais rien vu que de fort ordinaire dans cette invitation ; mais, avec les idées de guet-apens qui m’obsédaient depuis un mois, j’hésitai à pénétrer dans une maison qui me faisait l’effet d’un vrai coupe-gorge. Une voix que je reconnus mit fin à mon hésitation : c’était celle du lieutenant don Blas, qui s’informait à son asistente du résultat de sa commission. Dès-lors toutes mes craintes s’évanouirent, et j’entrai. Au même instant, don Blas se précipitait à ma rencontre et me pressait dans ses bras avec toute l’effusion mexicaine. Après les premiers complimens, le lieutenant me fit traverser une salle encombrée de gens de toute espèce, pour gagner une pièce plus vaste où des buveurs et des joueurs, en plus petit nombre, mais qui paraissaient d’une classe plus élevée, garnissaient une demi-douzaine de tables. Tous paraissaient être militaires, à en juger par leurs moustaches du moins, et don Blas lui-même ne portait d’autres insignes qu’une veste ronde avec deux attentes d’épaulettes qui dénotaient