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le talent des avocats et la grande publicité donnée aux débats garantissent la rigoureuse observance des formes de la justice. Il faut en dire autant des cours suprêmes de Madras et de Bombay, qui remplissent les mêmes devoirs et rendent les mêmes services. Le contraste de ces tribunaux sérieux et éclairés avec les cours indigènes est peut-être le blâme le plus sévère que l’on puisse formuler contre le gouvernement de la compagnie. On s’explique difficilement cette bizarre institution d’une justice au rabais, d’une justice bonne pour le peuple, tandis que l’on fait venir à grands frais une autre justice dont les bienfaits ne se répandent que sur des classes privilégiées.

Dans les états publiés par le comité de finances pour l’année 1842, nous voyons la justice et la police du Bengale figurer au budget des dépenses pour une somme de 12,018,000 francs[1]. Cette somme est diversement répartie entre les 42 districts du Bengale, et on n’en applique aucune portion ni à la cour suprême, ni à la police de Calcutta. Il faut recourir à d’autres sources pour savoir ce que coûtent celles-ci, et les documens officiels publiés par le Bengal and Agra Gazettier nous fourniront les chiffres dont nous avons besoin. Cette publication donne un tableau comparatif des dépenses de la province pendant trois années, de 1839 à 1841, et l’administration de la justice et le service de la police à Calcutta y figurent pour une somme de 2,954,000 francs. Or, les derniers recensemens portent à 37 millions d’ames la population de tout le Bengale, et à 230,000 ames celle de Calcutta, d’où il suit que, sur les énormes impôts qui frappent également les habitans de la campagne et ceux de la ville, le gouvernement, qui leur doit à tous une égale protection, distrait, pour remplir sa mission paternelle, une somme qui équivaut pour les uns à 33 centimes par tête, tandis que pour les autres elle est de 12 fr. 85 centimes !

Il n’est pas inutile de remarquer que les frais de cette bonne administration ne sont point supportés en réalité par la ville de Calcutta ; les impôts levés sur la propriété dans cette riche cité, loin d’ajouter quelque chose aux revenus de l’état, sont absorbés par les besoins de la municipalité et n’ont pas suffi une seule fois depuis dix ans pour défrayer les services spéciaux, tels que la distribution des eaux, l’entretien de la voie publique, le nettoiement, l’éclairage, etc. La gestion des intérêts municipaux de la ville est confiée à la police. On a fait quelques efforts pour organiser une municipalité élective, mais les fonctions honorifiques ne tentent personne dans l’Inde, et on y trouverait à peine un citoyen qui voulût s’occuper des mesures d’utilité publique.

Loin de dissimuler ce contraste entre la cour suprême de Calcutta et les tribunaux destinés aux indigènes, il semble qu’on ait pris à tâche de

  1. Nous estimons la roupie à 2 fr. 50 cent., et nous négligeons les fractions.