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tous les efforts des petits propriétaires ? Ils sont entourés des moyens de produire la richesse, mais l’œil du collecteur est sur eux, et il leur ôte non seulement le pouvoir, il leur ôte aussi le désir de s’affranchir de la pauvreté. C’est une lutte bizarre entre le propriétaire et le collecteur, surtout si celui-ci est un bon collecteur, ce qui s’entend, en langage fiscal, d’un officier rapace et implacable. L’un, insouciant et découragé, est complètement livré à la routine, et il néglige tous les progrès agricoles sans en excepter les plus simples travaux d’irrigation. Il sait qu’il lui est interdit d’amasser un petit pécule, et, une fois que ses alimens lui sont assurés, il lui importe peu d’augmenter les revenus de l’état en augmentant ceux de la propriété dont il a le dépôt. Au contraire, telle est sa crainte de voir surgir quelque prétexte pour un surcroît d’impôt, que, s’il afferme sa terre, ce sera presque toujours avec la condition expresse qu’on ne devra ni creuser un puits ni construire des canaux. Le rôle du collecteur est de combattre les effets de cette déplorable inertie. Il recommande d’abord l’emploi des bonnes méthodes. Si le paysan persiste, les raisonnemens captieux font place à la violence. Enfin, et comme dernière ressource, la propriété est vendue ou plutôt elle est livrée à quiconque veut s’en charger. Le nouvel acquéreur comptait peut-être sur quelque protection puissante dans les bureaux du collecteur, mais la vigilance de celui-ci a trompé son attente, et ses illusions s’évanouissent devant le tableau des contributions : Il apprécie bientôt sa situation ; malheureusement il est trop tard pour reculer, et, s’il était tenté de suivre l’exemple de son prédécesseur, la prison ne tarderait pas à s’ouvrir devant lui.

On le voit, les différens modes de percevoir les revenus publics dans l’Inde anglaise sont tous également vexatoires pour le producteur ; mais le système de lord Cornwallis se recommande par quelques-uns des avantages qui résultent de la grande culture. Cela est si vrai que, lorsqu’une propriété foncière devient, au Bengale, l’objet d’une action civile, les droits de timbre sont réglés d’après une estimation qui, dans cette province, donne aux terres en litige une valeur égale au produit de trois années, tandis que, dans les autres parties de l’Inde, le produit d’une seule année représente la valeur du fonds. S’il s’agit d’une terre qui est exempte d’impôt, on estime le capital en multipliant le revenu par dix-huit. Ce tarif est à lui seul très-significatif. L’incroyable dépréciation des propriétés imposées est énoncée ici dans les termes les plus clairs, et c’est le gouvernement lui-même qui prend le soin de la constater.

Un témoignage de la plus grande valeur, celui de M. Shore, juge de l’un des districts du nord-ouest, complétera ce tableau. « Le bétail, dit-il[1],

  1. Notes on Indian affairs.