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au foyer domestique. Le long cloth de Manchester doit régner sans partage, et les femmes et les enfans ne sauraient dérober quelques heures aux travaux des champs pour tisser cette « mauvaise ceinture de coton » dont parle la cour des directeurs. Les droits sont exorbitans, ou, pour mieux dire, ils sont prohibitifs sur tous les objets dont la fabrication pourrait porter ombrage à la puissance productive de la Grande-Bretagne. A l’exception de la poudre et des canons, il nous serait difficile de nommer un seul article important qu’il fût permis à l’Inde de fabriquer conjointement avec l’Angleterre. Les foulards du Bengale et les châles de cachemire échappent seuls à cette condamnation, grace à l’impossibilité où l’on est d’en faire une imitation parfaite.

« On a prétendu, dit M. Shore, démontrer la supériorité des Anglais dans les arts mécaniques par ce fait, que le coton acheté dans l’Inde et transporté en Angleterre pour y être transformé en produits de toutes sortes revenait ici pour être vendu avec bénéfice à des prix moins élevés que s’il avait été manufacturé dans le pays. Ce fait ne prouve qu’une chose, c’est que les mesures du gouvernement sont vexatoires et tyranniques. En effet, les tarifs ruinent le pays, dans le dessein avoué de favoriser la métropole[1]. » Ainsi, l’Inde est une ferme colossale qui appartient à des manufacturiers absentees ; ceux-ci sont représentés par des agens violens qui récoltent la matière brute et qui l’envoient dans ces prodigieux ateliers d’où elle revient en partie, pour devenir, sous une forme nouvelle, une portion du faible salaire que l’on alloue au malheureux pionnier. Certes, il faut admirer cette ingénieuse combinaison qui permet de cumuler les profits de l’agriculteur avec ceux du manufacturier et du commerçant. Réduire au plus strict nécessaire la consommation du producteur, et cependant la réduire encore en la faisant passer d’abord par une main étrangère qui en garde quelque chose, tels sont les deux termes de la proposition, telle est la double opération par laquelle l’Angleterre a su exploiter dans l’Inde, avec une rare habileté, la terre au moyen de la population, la population au moyen de la terre.

Il faut être juste. Tranquille du côté de ses revenus, la compagnie a senti qu’il convenait d’apporter, par l’éducation morale du peuple, quelque soulagement à ses souffrances matérielles. Ces efforts, qu’il faut louer, si insuffisans qu’ils soient, datent de l’administration de lord William Bentinck. Parmi les résultats obtenus, nous devons placer en première ligne l’abolition de ces pratiques religieuses qui exigeaient que les veuves s’immolassent sur le tombeau de leur époux. Il faut également regarder comme un immense bienfait l’extermination de cette secte d’étrangleurs

  1. Notes on Indian affairs, vol. 2.