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croire qu’il pût résulter quelque avantage d’un acte aussi barbare ; mais les Khonds me répondirent qu’ils ne nous payaient aucun tribut, et qu’ils ne reconnaissaient point notre autorité. Ils ajoutèrent que ces sacrifices étaient en usage parmi eux depuis un temps immémorial, et que, s’ils cessaient de les offrir, leurs champs cesseraient d’être productifs. De plus, dirent-ils, ces victimes étaient honnêtement acquises à prix d’argent, et, en somme, ils avaient le droit de faire ce qui leur semblait convenable. Évidemment il était inutile de raisonner avec des hommes aussi rudes et aussi ignorans. Je remarquai que plusieurs d’entre eux étaient sous l’influence de la boisson, car c’est encore là un des traits de leurs cérémonies religieuses. Cependant les Khonds arrivaient en grand nombre pour assister à la fête, et, comme j’avais atteint l’objet principal que j’avais en vue, c’est-à-dire la délivrance de la victime, je jugeai prudent de me retirer, lorsque mes hommes se furent un peu reposés, emmenant avec moi quelques-uns des anciens pour protéger notre retraite. »

Les idées des Khonds, au sujet de la vertu du sang répandu sur les autels, paraissent être les mêmes que celles de tous les peuples qui ont pratiqué l’exécrable coutume des sacrifices humains ; mais autrefois les prisonniers de guerre et les criminels faisaient les frais de ces festins de cannibales, tandis qu’aujourd’hui, chez les Khonds, les victimes, pour parler comme leurs chefs, sont honnêtement acquises à prix d’argent. En décembre 1837, un habitant du district de Ganjam fut traduit devant une des cours de la présidence de Madras, sous l’accusation d’avoir vendu et livré aux Khonds, pour la somme de 115 fr., un de ses proches parens, avec la stipulation expresse que le sang de celui-ci devait couler pour détourner la colère des dieux. Il fut établi, dans le cours des débats, que l’accusé était depuis long-temps engagé dans ce trafic, et qu’il n’avait pas d’autre profession que d’alimenter les autels. Recevait-il en avance une portion du prix convenu, et l’heure du terrible banquet avait-elle sonné sans qu’il l’eût approvisionné, il laissait froidement égorger une de ses propres filles, qui servait de garantie à l’exécution du contrat. Ce monstre fut acquitté, non pas que les preuves manquassent, elles étaient accablantes, et il avait confessé tous ses crimes ; il fut acquitté parce qu’il s’était glissé dans la procédure quelques-uns de ces vices de forme qui, dans la jurisprudence anglaise, sont autant d’échappatoires pour le criminel ; ainsi, les dépositions avaient été faites dans une langue et écrites dans une autre, qui n’était pas celle de la cour.

Si, jusqu’à ce jour, on n’a pas assez fait pour châtier ces odieux attentats, a-t-on fait davantage pour les prévenir ? Il faut le dire, tandis que le gouvernement se montrait inhabile et irrésolu dans l’exercice de sa mission répressive, on luttait avec plus d’ardeur et d’énergie sur un