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chose à faire que d’enseigner l’anglais aux juges de paix indigènes ainsi qu’à tous ces jeunes gens qui passent leur vie à copier des documens administratifs dans les bureaux du gouvernement. Pour notre compte, nous croyons qu’une éducation professionnelle, ou, mieux encore, l’apprentissage d’un métier, les préparerait à l’exercice d’une industrie à la fois plus lucrative et moins précaire. Ainsi, par exemple, le système complet de chemins de fer qui doit relier toutes les provinces de l’empire pourrait offrir à un grand nombre d’indigènes l’occasion de mettre à profit leurs dispositions naturelles pour les arts mécaniques. Toutefois nous doutons qu’ils soient jamais employés au service des machines à vapeur : heureux s’il leur est permis de poser les rails. Nous avons entendu tout récemment un des ingénieurs chargés d’explorer le sol de l’Inde déclarer qu’il y aurait lieu de faire venir des Irlandais pour les travaux de terrassement. Les Anglais font sonner bien haut les avantages qui doivent résulter pour le pays de l’établissement d’une voie desservie par la vapeur. Nous estimons que ces avantages se réduiront au transport des marchandises pour le compte des trafiquans européens et à celui des dépêches et des troupes pour le compte du gouvernement.


Le système administratif de l’Inde anglaise n’est favorable, on a pu s’en convaincre, ni aux intérêts matériels ni aux intérêts moraux de la société conquise. Pour qu’on le maintienne malgré les souffrances qu’il cause et les abus qu’il consacre, il faut qu’il procure à la société conquérante des avantages considérables. Si l’on a donné à huit cents hommes pris au hasard le pouvoir de faire et d’appliquer les lois pour cent trente millions d’habitans, c’est que la conservation de la conquête d’abord, et plus tard les intérêts d’une exploitation gigantesque, l’ont exigé impérieusement. Nous écarterons les bénéfices secondaires qui résultent pour la compagnie d’un pareil état de choses, et, par exemple, le patronage immense que le système actuel lui assure en Angleterre[1]. C’est la conservation et l’exploitation de la conquête qui expliquent avant tout, nous le répétons, le maintien du système administratif de

  1. C’est forte de cette protection qu’elle contraint la presse locale à se maintenir dans les limites, de la discussion la plus modérée et la plus circonspecte. Il n’est peut-être aucun pays où la presse soit tenue de se surveiller elle-même plus sévèrement que dans l’Inde. Malgré cette gêne, elle a su rendre, durant les douze années qui viennent de s’écouter, de grands services dans l’Inde et surtout dans le Bengale. Il faudrait un acte du parlement pour donner à la liberté de la presse dans l’empire hindo-britannique le caractère de l’inviolabilité. Serait-ce trop que de lui accorder formellement un droit tacitement acquis, et que lord Ellenborough lui-même a dû reconnaître ?