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incessantes des ouvriers fileurs en Angleterre ont amené les filateurs à doubler la longueur des mule-jennys et à les porter de trois cents broches à sept cents, ou à se servir de ces machines à filer qui semblent se mouvoir d’elles-mêmes et que les ouvriers anglais désignent par le sobriquet de fileurs en fer. Si le décret qui réduit la journée de travail à dix heures survit aux circonstances exceptionnelles qui l’ont inspiré, il est probable que les fabricans feront face à la difficulté par un accroissement de leurs moyens mécaniques. Dans ce cas, la production restera la même ; mais le rapport du capital fixe au capital roulant devra se modifier, le manufacturier dépensera en matériel ce qu’il ne voudra pas dépenser en salaires.

En réduisant, par un acte du législateur, la durée du travail, on veut ménager les forces de l’ouvrier et lui donner le temps de cultiver son intelligence. C’est là une pensée qui ne rencontrera que des sympathies ; mais les moyens que l’on prend répondent-ils au but que l’on se propose, et suffit-il, pour que le travail s’arrête, de dire au travailleur : « Tu n’iras pas plus loin ? » Le décret du 1er mars n’a pas de sanction. En supposant que l’on oblige la grande industrie, celle qui agglomère les ouvriers par centaines dans une manufacture, dans une usine ou dans un atelier, et qui fait dépendre l’action des bras de celle des machines, à ne travailler que dix ou onze heures, comment imposera-t-on la même loi aux ouvriers infiniment plus nombreux qui exercent leur activité dans l’étroite enceinte d’une échoppe ou d’une mansarde, aux ouvriers des champs à qui les saisons mesurent le travail, à ces femmes qui vivent de leur aiguille, à ces tisserands qui promènent la navette sur le métier quinze ou seize heures par jour ? Le décret va rendre la prépondérance dans l’industrie au travail parcellaire. L’ouvrier domestique pouvant, loin du contrôle que le gouvernement exerce, travailler plus long-temps que l’ouvrier des manufactures, lui fera une concurrence terrible de souffrances et de privations. On verra s’étendre à la France entière l’état social de la Saxe et de l’Irlande. Réduire par ordre la durée du travail, ce ne sera pas seulement contrarier et diminuer la production ; ce sera, de plus, diminuer le salaire, enlever à la population ses moyens naturels d’existence, augmenter la misère et provoquer le désordre. Encore faudrait-il avoir sur le pays un droit de conquête pour sonner ainsi partout le couvre-feu.

Le parlement britannique, en abrégeant la durée du travail dans les grands ateliers, pour les enfans, pour les jeunes gens et pour les femmes, n’avait pas entendu exercer la plus légère influence sur le taux des salaires. L’acte du 8 juin 1847, le plus rigoureux dans cette longue série de lois, laisse pourtant aux transactions entre le maître et l’ouvrier la liberté la plus entière. La réforme que la clameur publique imposait, mais dont les ouvriers avaient pris l’initiative, s’accomplit, de l’autre