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furent obligées de lui faire leur plus belle révérence. Les héros du matin étaient redevenus des enfans.

Rentrés chez eux, ils apprirent que le recrutement des trois cent mille hommes ordonné par la convention avait spontanément soulevé tout le pays dans le Bas-Poitou ; Challans et Machecould étaient tombés au pouvoir des insurgés, les Vendéens avaient chassé les républicains des Herbiers, de Chantonnay, du Pont-Charron, et le drapeau blanc flottait sur tous les clochers. Les gentilshommes, d’abord étrangers au mouvement, avaient été forcés d’en prendre la direction ; la révolte allait devenir une guerre civile. Les opinions de Maurice Ragueneau auraient seules suffi pour l’y faire entrer, ses instincts l’y précipitèrent. C’était une porte subitement ouverte à ce caractère aventureux, jusqu’alors captif sous le réseau des habitudes. Il échappait ainsi naturellement à l’oppression des devoirs journaliers, et passait de plain-pied de la monotone uniformité du ménage à ce poétique labyrinthe de l’inconnu. Le sonneur de cloches de Chanzeaux ne chercha point à s’expliquer ce qui lui plaisait dans ces nouvelles espérances, mais il le sentit à l’ardeur avec laquelle il les adopta. Nul ne montra plus de résolution à entreprendre la lutte, ni plus de fougue après l’avoir entreprise. Refusant les responsabilités du commandement, il voulut goûter en toute liberté les enivremens de sa fiévreuse fantaisie. Sans chefs et sans soldats, il courait où le portait son élan et se donnait toujours la volupté de choisir son péril ; seulement ce choix l’entraînait invariablement où la mêlée était plus sanglante. Là le bruit du canon lui rendait les émotions de ses anciennes sonneries, mais redoublées et agrandies. Un des historiens de cette guerre de géans a dit que la poudre faisait sur Ragueneau l’effet du vin d’Anjou. La tradition locale a conservé des souvenirs presque fabuleux de sa furie guerrière. Au Pont-Barré, il combattit cinq heures et tua de sa main dix-huit ennemis. A Laval, dans une attaque de nuit, il arrive sans le savoir à une batterie républicaine ; la lueur du coup de canon le fait reconnaître, tous les bras se lèvent pour le frapper ; il se jette derrière une voiture du train, tire son coup de pistolet dans un caisson qui saute, et s’échappe sain et sauf au milieu des débris. Assailli une autre fois par trois hussards, il en démonte deux, force le dernier à se rendre, et l’amène au camp avec les trois chevaux.

Que pouvaient cependant ces inutiles prodiges, répétés par mille autres ? La république avait pour elle ce qui manquait à ses ennemis, l’opportunité. Or, dans toute question humaine, il y a quelque chose de plus puissant que la force, que le courage, que le génie même : c’est l’idée dont le temps est venu. Attaquée en avant par l’Europe, en arrière par les royalistes, et défendue par des soldats sans souliers et sans pain, la révolution continuait son œuvre immense, aiguillonnée plutôt que retenue