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avaient contracté le goût des massacres ; les meilleurs s’y étaient accoutumés. Dans les deux partis, on égorgeait sans pitié. Quelques chefs royalistes encourageaient des cruautés odieuses ; quelques prêtres se faisaient complices des superstitions les plus grossières. Tout ce qui avait été d’abord élan spontané, croyance ingénue, fut insensiblement transformé en moyen ; la guerre populaire devenait une guerre politique. Pendant que les généraux vendéens négociaient avec l’Angleterre pour lui livrer un de nos ports, l’abbé Bernier s’occupait de fomenter la discorde par des bassesses ou par des crimes. On eût dit que les sept péchés capitaux étaient entrés avec lui dans le conseil. L’évêque d’Agra ajouta à ces intrigues le ridicule d’une comédie sacrilège. Aussi tout allait déclinant, tout se précipitait. Les victoires de la grande armée vendéenne n’étaient plus que les crises d’une glorieuse agonie.

Par opposition, l’ère des déroutes semblait toucher à sa fin pour les soldats de la république. En attendant un chef qui les fît vaincre, les héroïques grenadiers de Mayence leur apprenaient à bien mourir. Décimés par une nuée de tirailleurs, ils serraient froidement leurs rangs ; repoussés, ils reculaient sans fuir ; entourés, ils s’ouvraient un chemin avec la baïonnette. Pour la première fois, on voyait apparaître sur les champs de bataille une avant-garde de cette grande race de soldats stoïques dont la gloire commence aux campagnes d’Italie et se complète à Waterloo.

Après avoir été forcée de lever le siège de Nantes, où Cathelineau fut tué, l’armée catholique errait à travers les campagnes sans direction et sans but. Le cortége de vieillards, de femmes et d’enfans qu’elle traînait à sa suite, allait chaque jour grossissant. Traquée par les troupes républicaines, qui l’obligeaient à se replier sur Beaupréau, elle se retourna tout à coup, comme un lion blessé, et remporta un premier succès qui finit par se changer en défaite. Les ennemis restèrent maîtres du terrain, mais noyés dans le sang de leur victoire. L’armée royaliste se trouvait acculée à la Loire sans moyen de rentrer en Vendée. Tous les yeux se tournaient vers l’autre rive, dernier lieu de refuge et suprême espoir. Là, disaient les Vendéens, un peuple ami les attendait ; là, les villages n’avaient point encore été abandonnés ; on voyait quelques troupeaux dans les friches, quelques meules de blé aux portes des métairies et les vergers chargés de leurs fruits. Pour les malheureux qui fuyaient un pays dépeuplé et noirci par les flammes, c’était l’abondance de la terre promise. La campagne était couverte d’une mêlée confuse de femmes égarées qui appelaient leurs frères ou leurs maris, de canons sans attelage, de cavaliers galopant au milieu des piétons effrayés, de chariots traînés par des boeufs, et desquels s’élevaient des cris d’enfans ou des gémissemens de blessés. On eût dit une de ces grandes émigrations de peuples barbares subitement arrêtée