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— Monsieur La Rose a-t-il donc renié son baptême ? demanda-t-il avec une brusquerie presque menaçante.

— Moi ! s’écria La Rose du ton d’un marquis de théâtre, me prends-tu pour un sans-culottes, l’ami ? Je suis, pardieu ! aussi bon catholique que toi, et la preuve, c’est que je fais carême depuis trois mois !… ce qui est une amplification des commandemens.

— Il ne faut pas jouer avec les choses saintes, interrompit le paysan.

La Rose haussa les épaules.

— Allons, ne vas-tu pas me faire le catéchisme ? dit-il d’un ton de hauteur railleuse ; apprends que j’ai un directeur qui te vaut, pour le moins. L’abbé Bernier veut bien m’accorder sa confiance.

— J’espère que M. de Saint-Laud a passé la Loire, demanda vivement l’oncle Ragueneau, qui, même dans ce désastre, était plus occupé de son recteur que de lui-même.

— Je n’en sais rien, j’arrive, répliqua La Rose.

— Le temps presse ! fit observer un des jeunes gars en arrêtant sur l’horizon des yeux inquiets ; les bleus avancent toujours.

— Et Maurice ne revient pas ! ajouta Marie-Jeanne agitée.

— C’est votre frère que vous attendez ? demanda La Rose ; je viens de l’apercevoir, il arrive avec un bateau.

— Où cela ?

— A la pointe, là-bas, devant les peupliers.

Marie-Jeanne et les Ragueneau coururent à l’endroit indiqué et virent, en effet, le sonneur de cloches qui arrivait dans une toue conduite par un vieillard. La foule pressée sur le bord attendait la barque pour s’y précipiter ; mais Maurice s’arrêta à portée de la voix en appelant sa sœur et ses cousins.

— Nous voici ! crièrent-ils tous à la fois.

— Il n’y a que six places, dit Maurice ; si j’aborde, tout le monde voudra les prendre : montez sur mon cheval, qui vous conduira jusqu’ici à la nage.

On fit ce qu’il demandait. Marie-Jeanne passa la première, puis les autres suivirent. Quand tous furent réunis, Maurice leur donna rendez-vous à Varades, et, s’élançant sur son cheval, regagna le bord. Il pensait que les républicains pourraient atteindre l’armée fugitive avant qu’elle eût franchi le fleuve, et il restait à l’arrière-garde pour ne point perdre cette occasion de combattre. La prolongation de cette lutte, qui avait brisé tant de courages, n’avait fait qu’exalter le sien. Ce jeu terrible, où la mort tenait les cartes, lui était devenu un besoin. Il aimait la fièvre de la bataille comme on aime celle du lansquenet. La vie était son gain, le péril son aiguillon. Tandis que d’autres combattaient par nécessité, Maurice ne le faisait que par choix ; pour eux, c’était une guerre, pour lui une chasse au lion.