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et qui, repoussé de toutes les barques, s’était jeté sous le brancard de M. de Lescure, et avait ainsi passé le fleuve protégé par un mourant.

Les remercîmens de Mme Boguais furent ceux d’une mère ; mais ils furent courts. Dans ce drame terrible où l’on voyait, comme dans la danse macabre du moyen-âge, la mort toujours présente et sous tous ses déguisemens, la plus longue scène ne durait que quelques instans : haine, reconnaissance, amour, tout passait emporté dans le tourbillon des événemens ; on vivait au milieu d’un rêve. Le passage de la Loire avait d’ailleurs jeté dans toutes les ames une sorte d’attendrissement égaré qui faisait rendre et accepter tous les services comme s’ils eussent été dus. Distinctions de naissance, d’éducation, de fortune, tout s’était perdu dans cet immense désastre, et la communauté de l’infortune avait amené la fraternité du désespoir. Un paysan venait de prendre la main de Mme de Lescure, qui ne le connaissait pas, et lui avait dit, les larmes aux yeux :

— Nous avons quitté notre pays ; nous voilà, à présent, frères et sœurs ; je vous défendrai jusqu’à la mort, ou nous périrons ensemble. C’était le sentiment de l’armée entière.

En quittant la famille Boguais, Ragueneau chercha sa sœur Marie-Jeanne, et la trouva près des chariots, soignant les blessés. Après un rapide entretien, il la laissa pour rejoindre l’avant-garde, avec promesse de revenir bientôt. Malheureusement, dès le second jour, l’ordre de marche adopté au sortir de Varades fut abandonné. Les paysans quittèrent leurs rangs l’un après l’autre, pour aller revoir leurs familles groupées autour des bannières. La confusion devint générale. Combattans, troupeaux, blessés, s’avançaient pêle-mêle avec de sourdes clameurs. A côté des canons marchaient des femmes qui portaient leurs enfans dans leurs bras. Ragueneau réussit pourtant à retrouver le lendemain la famille Boguais et Marie-Jeanne ; il leur apportait des provisions.

L’armée poursuivit sa route par Ingrande, Candé et Château-Gonthier ; elle arriva enfin à Laval, où le général L’Echelle l’attaqua le surlendemain à la lande de Croix-Bataille : le combat dura deux jours. Les républicains, d’abord repoussés de la lande, furent écrasés à Entrames. Six mille Mayençais, qui restaient encore des vingt-huit mille envoyés en Vendée, se trouvèrent séparés du reste de l’armée et entourés. Ce fut alors que le général Beaulieu, emporté mourant du champ de bataille, leur envoya, comme appel à la vengeance, le linge sanglant qui couvrait sa poitrine ; les Mayençais le fixèrent au bout d’une baïonnette, et, guidés par ce terrible drapeau, ils s’ouvrirent un passage à travers l’armée victorieuse.

De Laval, les Vendéens se dirigèrent d’abord sur Rennes, puis sur Granville, où ils avaient donné rendez-vous à l’escadre anglaise. Repoussés,