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Ragueneau tressaillit.

— A la prison ! répéta-t-il ; que veut-on y faire ?

— Ah ! voilà ! reprit l’enfant avec importance ; personne ne s’en doute, mais je le sais, moi. C’est en allant chez le représentant, pour porter une lettre du président du club, que j’ai appris la chose.

— Quoi donc ?

— Eh bien ! je l’ai entendu dire que, comme il arrivait demain de nouveaux brigands, il fallait avoir la place libre et faire sortir les prisonniers.

— Alors on les envoie ailleurs ? demanda Ragueneau.

— Juste ! et si tu veux savoir où ils vont, écoute ce bruit.

— Un feu de peloton ! s’écrièrent plusieurs voix.

— C’est le roulement de la voiture qui les emporte ! ajouta l’enfant avec un rire féroce.

Il y eut un cri général de saisissement, suivi d’un silence d’horreur ; quant à Maurice, il s’était déjà élancé dans la direction de la fusillade, mais, en arrivant près de la prison, il fut arrêté par la foule. Deux rangées de baïonnettes se dessinaient au-dessus des têtes agitées, et une nouvelle troupe de prisonniers sortait du couvent. Ragueneau se fraya un passage à travers les spectateurs et arriva à l’extrémité de la haie formée par les soldats, tout près d’un porte-clés qui tenait une torche. Celui-ci cria : Arrière ! et essaya de le repousser ; mais le sonneur de cloches résista, en répétant qu’il voulait voir.

— Voir quoi ? demanda le porte-clés. Tu ne sais peut-être pas ce que c’est que des brigands à qui on va donner le baptême avec du plomb ? Je te dis de passer au large !

— Non ! s’écria le sonneur de cloches en se cramponnant à l’angle d’un mur, je veux rester ; je veux savoir si elles y sont.

— Qui cela ?

— Les demoiselles.

— Ah ! ah ! tu connais des femmes là-dedans ?

— Oui… du moins j’en ai peur… Mais vous pourriez me dire, vous…

— Plaît-il ? interrompit le porte-clés en fronçant le sourcil ; je crois que tu me dis vous ?

— C’est une mère et ses trois filles, continua Maurice sans prendre garde aux paroles du porte-clés ; il y en a une qui est pâle et blonde…

— Et tu les nommes ?…

— Boguais.

Ce nom n’était pas achevé qu’une main saisit vivement le bras du Vendéen ; il se retourna étonné. Un homme enveloppé d’un manteau lui imposa silence du geste et l’entraîna rapidement dans l’ombre d’un des arcs-boutans de la chapelle.

— Tu connais la famille Boguais ? demanda-t-il à voix basse.