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l’églantier ou l’oseille des prés, toutes ces misères subies au dehors, dans l’air libre et devant la face bénie du ciel !

Quand Maurice s’approcha d’elles, toutes deux venaient de se rappeler ce passé, et, la tête penchée, elles pleuraient en se tenant par la main. Le Vendéen leur annonça à voix basse leur prochaine délivrance, et, réprimant d’un geste le cri de joie près de leur échapper, il commençait à expliquer rapidement le plan de fuite convenu avec le citoyen Fructidor, lorsqu’une voix qui se mêlait à celle de M. de Fromental le fit tressaillir. Il se retourna vivement, et, aux dernières lueurs qui éclairaient l’immense salle, il reconnut La Rose !

Celui-ci portait la carmagnole, le bonnet rouge et le sabre indispensable à tout citoyen actif. A ses boucles d’oreilles d’argent pendaient deux petites guillotines en ivoire sur lesquelles on avait gravé les mots : Liberté, fraternité ou la mort ! Il était arrêté devant Mme Boguais et devant Céleste, qu’il venait de reconnaître, et il feignait de les recommander à M. de Fromental, en rappelant tout ce qui pouvait les perdre. Ce dernier répondait d’un air d’indifférence ; mais sa froideur ressemblait trop au mépris pour que l’ex-valet pût s’y méprendre. La Rose s’interrompit tout à coup, lui lança un de ces obliques regards dans lesquels la haine se masquait de bassesse, et, après avoir vainement cherché Eulalie et sa sœur, que Ragueneau avait repoussées dans l’ombre, il sortit en promettant aux deux malades de ne point les oublier !

A peine eut-il disparu, que Maurice courut rejoindre M. de Fromental. Il avait deviné, comme lui, la menace que renfermait l’adieu de La Rose, et il en comprit tout le danger, quand il sut que l’ancien affidé du curé de Saint-Laud jouissait de l’entière confiance du représentant. Chargé par lui de missions secrètes, il disparaissait et reparaissait sans que l’on connût jamais les causes de son départ ni celles de son retour. C’était une de ces mystérieuses existences que l’on ignore, mais que l’on méprise, et qui ne vous laissent hésiter qu’entre les suppositions flétrissantes. Il fut convenu que l’on n’attendrait pas l’effet de sa haine, et M. de Fromental sortit pour faire tous les préparatifs de fuite, tandis que Maurice allait s’entendre avec Fructidor.

Il arriva à la geôle au moment où La Rose en sortait. Celui-ci venait d’inscrire sur le livre d’écrou les noms de Mme Boguais et de Céleste. Fructidor déclara que l’évasion des quatre femmes était désormais impossible. Deux des jeunes filles pouvaient seules partir, encore fallait-il que ce fût le soir même ; le lendemain, il serait peut-être trop tard. Ni les menaces de Ragueneau, ni les prières de M. de Fromental, ne purent changer cette résolution. Il fallut se soumettre et prévenir Mme Boguais par un billet de quelques lignes que le geôlier lui fit parvenir.