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à lui, il allait seul attendre les républicains isolés, non à l’affût, comme les chouans, mais au milieu de la route, où il les combattait en face.

De leur côté, les frères Cathelineau continuaient à tenir la campagne ; Larochejacquelein avait reparu et devenait menaçant ; Stofflet, rentré dans presque toutes ses positions, s’était remis en communication avec Marigny et avec Charette. Le comité de salut public, indigné de cette résurrection de la Vendée, écrivit à Thureau que si, dans un mois, la guerre n’était point terminée, il serait appelé à rendre compte de sa conduite. Thureau comprit le danger, et poussa sur les campagnes ses colonnes infernales, qui ne laissèrent devant elles que des cadavres et des cendres.

Tout à coup cependant l’armée exterminatrice s’arrête : la nouvelle de la révolution du 9 thermidor est arrivée de Paris ; la convention proclame l’avènement d’une divinité jusqu’alors inconnue dans son panthéon, la clémence ; des propositions de paix sont faites aux chefs vendéens, qui les acceptent ; Stofflet seul hésite, refuse et se décide à continuer la lutte. Les royalistes de Chanzeaux, commandés par Pierre Le Gury et par Maurice, le soutiennent avec un acharnement sans espoir. Partout repoussés, ils continuent partout à combattre. Enfin, le 9 avril au matin, ils apprennent que le corps commandé par les généraux Friderichs et Caffin marchait sur leur village. Ragueneau accourt ; tout est dans l’épouvante et la confusion : les femmes s’enfuient en emportant leurs enfans, les hommes s’efforcent d’entraîner les bestiaux vers les fourrés, les vieillards se chargent de ce qu’ils ont de plus précieux. Quelques paysans armés restent seuls à l’entrée du village ; appuyés sur leurs fusils, ils regardent la fumée qui annonce au loin l’approche des colonnes républicaines, et ne savent ce qu’ils doivent faire. Le sonneur de cloches arrive au milieu d’eux, pâle de rage, et s’écrie :

— Il n’y a donc plus d’hommes ici, que les femmes et les vieux se sauvent dans les bois ! Sur cent maisons qu’on comptait dans le bourg, les bleus vous en ont déjà brûlé soixante-dix, et vous les laisserez brûler le reste ! A quoi vous servent donc vos fusils, si vous ne savez pas défendre ce qui vous appartient ?

— Ils sont trop ! dit sourdement Musseau, qui regardait à l’horizon ; j’ai consulté la relique… l’auréole est rouge !

— Et tu veux que la paroisse soit de la même couleur ? demanda ironiquement Ragueneau ; tu n’as pas honte de voir le feu et le sang courir comme de l’eau sur la terre où tu es né ! Laissez vos armes alors ; prenez chacun une pioche, et allez creuser la fosse où l’on jettera les corps de ceux que vous aimez.

— Par le Christ ! il a raison, s’écria un chasseur de Stofflet ; nous ne