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peinture, il y a plus d’éclat que de solidité, plus d’aisance que de correction. Comme chez nos improvisateurs quotidiens, écrivains politiques ou littéraires, c’est rapide, c’est clair, c’est amusant, mais peu profond. Uni à la littérature par des harmonies communes, l’art est comme elle l’expression de la société. Chaque école, chaque secte, chaque petite église littéraire a son analogue chez les peintres. Nous avons les érudits, les naïfs, les penseurs, les analystes, les rêveurs, les philosophes et les néo-chrétiens. L’un recherche la chronique, l’autre l’anecdote dramatique, quelques-uns l’histoire. Tous font grand cas de la couleur locale et du détail technique et pittoresque.

L’école historique, en retraite depuis bien des années, semble aujourd’hui s’être retirée de la lice et avoir laissé le champ libre à la peinture anecdotique. Nos peintres de l’ordre le plus relevé, MM. Ingres, Delaroche, Eugène Delacroix, ne sont pas des peintres d’histoire selon l’acception que l’on donnait à ce mot de 1800 à 1820. M. Ingres, rigoureux pour tout ce qui tient à la forme, est, quant au choix de ses sujets, un des artistes les plus capricieux que nous connaissions. Cette année, il a persisté dans son isolement et n’a pas paru au Salon. M. Delaroche, qui s’est abstenu également, est avant tout poète ou chroniqueur dramatique. Sa grande composition de l’hémicycle des Beaux-Arts tient plutôt de la poésie épique que de l’histoire. L’art subit, du reste, aujourd’hui l’influence du drame et de la chronique, comme il a subi, sous l’empire, celle de la tragédie. Les œuvres de cette école mixte sont nombreuses à l’exposition de cette année. Quelques-unes sont intéressantes ; la plupart sont exécutées avec plus de verve que d’élévation : elles rappellent trop souvent le théâtre du boulevard et le roman-feuilleton. Les sujets de religion sont également nombreux ; mais, quel que soit le talent qui s’y révèle, comme les peintres n’ont pas la foi, leurs compositions ne s’élèvent guère au-dessus du médiocre. L’érudition et une exécution convenable ne suppléent pas à l’absence du sentiment religieux. La peinture de genre est cultivée avec plus de succès, et dans cette catégorie nous comprenons cette multitude de toiles de nature si variée, dont quelques-unes rappellent l’art flamand, le plus grand nombre l’art français du temps des Boucher et des Watteau, et dont se détache un groupe original fort restreint, mais que son originalité place au premier rang. Ces derniers voient avec leurs yeux et ont grand souci de la vérité et de la nature, qu’ils étudient et reproduisent à leur manière, tandis que les imitateurs des écoles antérieures, ou flamandes ou françaises, ne voient la nature, les premiers, que sous certains aspects déjà connus, quelque faux air de naïveté et de nouveauté qu’ils prétendent leur donner ; les autres, qu’à travers cette enveloppe chatoyante dont les peintres spirituels et coquets du dernier siècle l’avaient revêtue. C’est un genre brillant, mais faux, qui