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mythologique, et cependant le fonds est heureux, il demanderait seulement une autre culture.

La Navigation sur le Cydnus d’Antoine et de Cléopâtre, par M. Picou, est encore un de ces ouvrages où l’érudition fait grand tort à l’intérêt. Le sujet, il est vrai, était tout-à-fait dans le genre descriptif et anecdotique. Seulement l’anecdote concerne l’un de ceux qui, les premiers, aspirèrent à devenir maîtres du monde, et prend des dimensions toutes romaines. M. Picou a dû se renfermer dans les limites tracées d’avance, le pont d’une galère. Ses personnages, parallèlement placés, sont donc de dimension moyenne et gardent une immobilité forcée. La plupart s’occupent fort peu des deux principaux personnages amoureusement couchés à l’arrière du navire, et regardent fixement le spectateur, ce qui donne une grande froideur à la composition. Antoine et Cléopâtre, placés à l’une des extrémités du tableau, seraient confondus avec les autres personnages, si les membres nus de la reine d’Orient n’attiraient forcément les regards. Il est fâcheux que ce groupe, sur lequel tout l’intérêt devrait se concentrer, soit relégué sur un plan tout-à-fait secondaire. Il aurait fallu que la beauté des formes, la suavité du modelé, la splendeur des carnations, rachetassent tout ce qu’a d’étrange cette nudité absolue. Comment, à moins d’être une seconde Vénus, la voluptueuse reine consentirait-elle à se montrer nue aux yeux de ces courtisans qui l’adorent, de ces esclaves qui l’encensent ? La Cléopâtre de M. Picou est un assez pauvre modèle ; il n’est donc pas surprenant que son amant paraisse si distrait. De brillantes qualités de détail rachètent ce défaut capital de la composition de M. Picou. Le peintre a tiré le plus heureux parti des contrastes que présentaient les différentes races qui faisaient cortége à ces conquérans du monde. Les accessoires sont choisis et disposés avec goût : l’encens fume sur le pont du navire ; de brillans éventails rafraîchissent l’air ; les fleurs, les fruits, les coupes d’or, passent de mains en mains ; tout respire la mollesse, la volupté, la poésie des sens. L’érudition suffisante dont M. Picou fait preuve ne tourne pas au pédantisme et ne lui fait sacrifier ni la grace ni l’harmonie. Au total, ce tableau est un ouvrage remarquable et qui classe dignement M. Picou parmi tous ces talens intermédiaires qui se pressent en foule à l’exposition de cette année. Un peu plus d’étude, un peu plus de vigueur, un parti pris de couleur et d’effet plus résolu, et M. Picou arrivera à se placer hors ligne.

M. Duveau est un peintre de l’école de Géricault. Il cherche le mouvement et l’énergie et semble l’antipode de M. Picou. Le tableau où il a représenté une Famille d’émigrans bretons arrêtés par des républicains offre certainement une réminiscence éloignée du tableau de la Méduse. La scène se passe entre deux vagues de l’océan soulevé. Les fugitifs ont bravé la tempête, ils sont déjà loin du rivage et vont atteindre le navire