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Ce dernier tableau, exécuté pour le musée de Versailles, est presque un ouvrage de circonstance. Je me trompe ; nous sommes loin de ces protestations solennelles, et les choses se passent aujourd’hui plus brusquement et sans tant de préliminaires. Ce n’est plus le tiers, c’est le peuple qui proteste entre deux pavés un fusil à la main, et le lendemain rois, chambres, monarchie, tout est en poussière ! Trois heures suffisent pour détruire l’ouvrage de dix-huit années ! Dans le tableau de M. Auguste Couder, la bourgeoisie seule est à l’œuvre ; mais était-ce une raison pour donner à cette magnifique insurrection morale un aspect de réalité si vulgaire ? Toutes ces mains levées, tous ces bras tendus produisent aussi l’effet le plus étrange. Il y avait là, nous le savons, une immense difficulté à résoudre, et nous ne pouvons dire que M. Couder ait tout-à-fait réussi. L’immobilité forcée de la peinture exprime difficilement le mouvement, et cette scène est toute d’élan. Nous aurions voulu un jet moins contraint, plus de désordre, plus de confusion, dût-on jeter dans l’ombre et sacrifier à un de ces grands partis-pris de clair-obscur à la Rubens quelques-uns de ces personnages si bien bâtis et si coquettement poudrés. Si l’effet d’ensemble laisse à désirer, si les carnations offrent des nuances trop violacées, si le groupe des députés signant la protestation manque de noblesse et de distinction, et, cela parce que M. Couder a voulu peut-être accuser trop vivement les intentions des signataires, si la figure de Martin d’Auch exprime plutôt une anxiété vulgaire que la grande et poignante indécision d’un cœur vraiment patriote, d’autres parties de cette vaste composition sont traitées avec adresse et témoignent des efforts soutenus d’un artiste consciencieux.

Devons-nous classer parmi les peintres d’histoire MM. Debon, Gallait, Decaisne et Alexandre Hesse ? Leur manière n’a pas l’abstraite sévérité qui convient au genre historique. L’action n’est ni suffisamment écrite ni suffisamment concentrée, et le soin minutieux qu’ils apportent à l’exécution de chaque détail du costume, à chaque pièce de l’armure, les range plutôt au nombre des chroniqueurs. Si dans sa Défaite d’Attila, tableau de très vaste dimension, M. Debon a voulu peindre seulement une scène de désordre, il a bien réussi. Vainqueurs et vaincus sont confusément groupés sur la toile, et nous avouons que, même avec l’explication du livret, il nous a été impossible de rien démêler dans cette action, l’attention distraite ne trouvant à s’arrêter sur aucun des personnages. Cette bataille fut effroyable, dit M. Debon. Comment se fait-il que la représentation nous laisse si calmes ? Les toiles de moyenne dimension où M. Decamps a représenté la lutte d’une armée romaine contre un peuple entier au moyen de personnages d’un pouce de haut, ont une signification bien autrement précise, un accent bien autrement énergique. Voilà de ces morceaux vraiment historiques et