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Salon. MM. Mottez, Lehmann, Landelle, Henri de Laborde, Galimard, Jules Richomme, Romain Cazes et Lazerges sont les plus distingués de ces peintres que le public traite avec une faveur méritée.

MM. Mottez et Lehmann ont représenté les sirènes essayant de toutes leurs séductions pour arrêter Ulysse. Les Sirènes de M. Mottez ont beaucoup trop de retenue, et leur attitude annonce beaucoup trop d’honnêteté naturelle, pour qu’elles puissent faire courir de grands dangers au rusé roi d’Itaque. Les belles filles de M. Lehmann sont beaucoup moins réservées ; leurs gracieux visages, la vivacité de leurs regards, leurs gestes provoquans, l’espèce de coquetterie avec laquelle elles se parent de leur nudité et développent leurs formes sveltes et opulentes, en ayant grand soin, toutefois, de cacher dans les flots leurs extrémités écailleuses, toutes ces séductions des plus raffinées mèneraient à mal la vertu la plus robuste, et nous comprenons que le bon Ulysse ait grand soin de se faire attacher par de doubles noeuds au mât de son vaisseau. M. Lehmann, vif et païen autant qu’on peut l’être dans son tableau des Sirènes, a fait acte de contrition dans cette composition religieuse où il s’est attaché à exprimer les ineffables douleurs qui se groupèrent au pied de la croix. La disposition de ce tableau est savante, mais peut-être un peu symétrique, et l’effet d’ensemble rappelle à la fois M. Scheffer et M. Delacroix : M. Scheffer quant à l’expression mélancolique des têtes, M. Delacroix par certaine gamme de couleur puissante et fine qu’on ne rencontre pas dans tous les ouvrages de M. Lehmann. La magnifique tête de Léonide est traitée avec la même vigueur ; c’est un des meilleurs morceaux du Salon. La Zuleika de M. Rodolphe Lehmann a un grand air de famille avec la Léonide de son frère ; elle est peut-être plus souple et plus vivante.

La Sainte Cécile de M. Landelle a quelques rapports avec le Pied de la Croix de M. Lehmann. C’est une figure d’une grande et simple expression, qui n’a que le défaut de rappeler trop directement, dans certains airs de tête, certains regards levés au ciel, les Saintes Femmes que cet artiste, une des espérances de la jeune école française, a exposées il y a deux ans. M. Landelle a en outre, au Salon de cette année, plusieurs études d’un vrai mérite et un bon portrait. — La Mort du Précurseur, de M. Glaize, est un des meilleurs ouvrages que cet artiste ait produits ; peut-être cependant y a-t-il abus de vigueur dans les ombres, et l’aspect de ce tableau est-il par trop noir.

M. Henri de Laborde est un artiste de la famille de MM. Landelle et Glaize, c’est-à-dire essentiellement spiritualiste. Il y a peut-être un peu de recherche dans le choix de ses sujets et dans la façon d’exprimer sa pensée ; du moins, cette pensée existe dans chacun de ses ouvrages. Le Jésus-Christ au jardin des Oliviers, sujet certainement bien rebattu, est compris à un point de vue tout nouveau, et, si l’exécution répondait à l’idée, cette composition ferait le plus grand honneur à M. de Laborde.