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chasseur, les chansons sauvages des Indiens, dont les rares pirogues courbent les roseaux, n’interrompent qu’à de longs intervalles le silence qui pèse au loin sur la campagne. Des aigrettes blanches, immobiles sur la surface des lacs comme les fleurs du nénuphar, des poules d’eau, des canards plongeurs, des reptiles qui agitent les plantes aquatiques, çà et là un Indien pêcheur enfoncé dans l’eau jusqu’à mi-jambe, tels sont les seuls êtres vivans qui animent ces solitudes. Le ciel et les montagnes n’ont du moins pas changé d’aspect, et depuis trois cents ans la couronne de neige des volcans s’élève toujours dans le même azur.

Arrivé à Buena-Vista, d’où la vue domine la vallée de Mexico, je m’arrêtai pour jeter sur ces belles plaines un dernier coup d’œil. Au milieu d’une ceinture de collines bleues et de petits villages dont les maisons blanches tranchaient gaiement sur la verdure des saules, les lacs avaient repris, grace à la distance, une partie de leur ancien prestige. Mexico semblait encore la Venise du Nouveau-Monde. Je m’arrêtai un instant à contempler ses dômes lointains avec un sentiment de tristesse involontaire. Je voyais pour la dernière fois une ville où j’étais arrivé avec toute la curiosité, tout l’enthousiasme de la jeunesse. Mexico avait été l’endroit de halte où je me reposais au retour de chacune de mes excursions. C’était pour moi comme une seconde patrie, car, si l’enfance a des souvenirs qui lui sont chers, la jeunesse n’est pas oublieuse des lieux où, comme une fleur éphémère, elle s’est épanouie pour ne plus renaître. Je saluai du regard cette fertile vallée où règne un printemps éternel, et, mettant mon cheval au galop, j’eus bientôt perdu de vue les tours les plus élevées de Mexico. Après une nuit passée à la venta de Cordova, je traversai successivement les bois de Rio-Frio si célèbres par les vols à main armée qui s’y commettent journellement, les plaines riantes de San-Martin, qui rappellent celles du Bajio. Enfin la cime neigeuse des volcans voisins de Mexico brillait aux derniers rayons du soleil comme un fanal près de s’éteindre, quand j’arrivai à Puebla. La conduite avait, la veille même, passé dans cette ville. Puebla, avec les hautes tours de ses couvens, de ses églises et ses coupoles revêtues de faïence peintes, semble de loin une ville orientale aux minarets élancés. Je ne m’y arrêtai que le temps nécessaire pour m’y reposer, et le troisième jour depuis mon départ de Mexico, sur la route qui va de Puebla à Vera-Cruz, j’aperçus de loin les banderoles rouges des lanciers qui escortaient la conducta.

Dans le premier des cavaliers auxquels je m’adressai en atteignant l’escorte, je n’eus pas de peine à reconnaître l’asistente du lieutenant don Blas. Les vœux de ce digne lepero devenu soldat avaient été comblés, car, sauf un brodequin à un pied, un soulier à l’autre, et l’absence totale de sous-pieds, son uniforme de cavalier ne laissait rien à désirer. Il avait consenti aussi à faire à la discipline le sacrifice de sa chevelure.