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l’amitié du peuple une arme définitive contre les périls et les haines que provoque toujours une comédie trop sincère, de même qu’il avait trouvé dans la spirituelle sympathie de Louis XIV une sorte de tutelle et d’abri pour les hardiesses de sa muse ? Ainsi, sous la plume de George Sand (et qui méritait mieux d’avoir les honneurs de l’initiative ?), ce court prologue, cette pièce d’à-propos, pouvait devenir une première leçon et comme la préface d’une comédie nouvelle, d’une libre et saine éducation du peuple par le théâtre. N’est-ce pas aussi dans une république qu’Aristophane, le père et le modèle de la comédie populaire, se donnait devant le peuple athénien, si capricieux et si susceptible, toutes les franchises qui permettent à un grand poète de devenir à son tour l’instituteur et l’initiateur de ses maîtres ? Que de bonnes vérités ne disait-il pas à ce Démos, à ce vieil enfant crédule, plus indulgent pour l’épigramme que pour l’ennui ! Sous le voile d’une fantaisie charmante, il lui prodiguait les traits les plus vifs, les plus acérés, et, lorsque son auditoire eût songé à se fâcher, il était trop tard : le roi avait ri, le poète était pardonné.

On le comprend, ce n’est pas en un jour qu’on peut frayer cette route inconnue, ouverte à la comédie par la démocratie triomphante et le mouvement de la vie publique ; il est utile, il est nécessaire que l’héritage, la tradition d’un autre art se conservent intacts, que la chaîne intellectuelle ne soit pas interrompue. Aussi avons-nous eu lieu de nous réjouir de l’apparition au théâtre et de la complète réussite du proverbe de M. de Musset : Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. A coup sûr, aux yeux d’un juge superficiel, la fraîche et délicate inspiration de M. de Musset devait, plus que toute autre, souffrir du voisinage de cette agitation bruyante, de ce « tourbillon de vie orageuse, » comme dit Goethe, que portent avec elles les révolutions. Il n’en est rien pourtant ; cette fleur d’élégance et de grace a été épargnée par l’orage. Toutes les qualités aimables que l’on avait signalées, il y a trois mois, dans le Caprice, on les a retrouvées, l’autre soir, dans cet autre proverbe dont nos lecteurs, assurément, n’ont pas perdu le souvenir[1], et dont le tissu est plus léger, plus insaisissable encore. Nous n’avons plus ici que deux acteurs, un tête-à-tête au coin du feu, et, pour toute péripétie, une porte ouverte qui ne se ferme tout-à-fait qu’au dénouement. Mais quel sentiment exquis dans l’entraînement imperceptible, dans la gradation mystérieuse de cet entretien qui commence par des malices, par de gracieux persiflages, par le va-et-vient d’une causerie entre gens du monde, et qui, à travers mille fines escarmouches, mille vives ripostes où la gaieté se plait à cacher l’émotion, arrive à l’aveu, presque voilé encore, d’une passion partagée ! Comme cet esprit si charmant tient de près à la poésie, sa divine sœur ! C’est là, en effet, ce qui donne, selon nous, à M. de Musset, une place distincte ; chez lui, la poésie ne laisse jamais le lecteur en route, parce qu’à la fantaisie la plus capricieuse, au lyrisme le plus puissant, elle joint ce souffle léger, spirites, qui rafraîchit le front et nous permet de respirer jusque sur les cimes les plus hautes ; chez lui aussi, l’esprit ne semble jamais terre à terre, parce qu’au lieu de ces procédés de vulgarisation, familiers aux talons médiocres, les avances qu’il nous fait tendent toujours à nous soulever avec lui vers les régions idéales. C’est pourquoi l’on peut proclamer, comme un bonheur et un progrès, le succès

  1. Ce proverbe se trouve dans la Revue du 1er novembre 1845.