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Depuis trente ans, l’industrie languit en France, l’agriculture végète, la marine se meurt, et il semble que nous n’ayons rien à faire pour ces intérêts vivans du pays. De toutes les réformes nécessaires, tant de fois proposées ou projetées, pas une ne s’exécute. Vainement les peuples voisins nous ont-ils donné tour à tour l’exemple ou des grandes entreprises, ou des améliorations incessantes dans leurs lois : nous nous sommes bornés à les contempler de loin, dans une admiration stupide et béate, en nous persuadant toujours, à ce qu’il semble, que la lumière ne devait pas luire pour nous. Il est temps que le pays se dégage de cette torpeur funeste. Faut-il le dire pourtant ? aujourd’hui qu’un violent coup de tonnerre l’a réveillé, c’est dans la région des songes et des chimères qu’il semble encore chercher le soulagement de ses maux, et non dans cette voie féconde qui s’ouvre devant lui. Espérons que l’assemblée nationale, obéissant à de meilleures inspirations, saura l’y ramener.


I.

Nous allons entreprendre un travail sérieux, compliqué, et qui n’a pas de précédens, même dans les régions officielles. Il ne s’agit de rien moins que de l’analyse détaillée et de la révision complète de nos tarifs. Déjà nous avons exposé ici même[1] les principes qui nous serviront de guides : il ne nous reste plus qu’à les rappeler et à les préciser.

Pour procéder avec méthode et opérer avec fruit, il faut d’abord, dans la longue série des marchandises que la douane atteint, distinguer deux ordres de produits, les produits naturels et les produits ouvrés. Cette distinction est la base fondamentale de toute réforme rationnelle. Elle dérive de ce principe ou de ce fait que, par rapport aux produits naturels, la concurrence intérieure est ordinairement bornée, quelquefois même resserrée dans des limites fort étroites, soit à cause de l’insuffisance de la production, soit en raison du petit nombre des exploitations existantes, tandis que, par rapport aux produits ouvrés ou manufacturés, cette même concurrence est en général indéfinie.

De là des conséquences fort graves. Par rapport aux premiers de ces produits, il y a toujours monopole à l’intérieur, lorsque la concurrence étrangère est absente, et ce monopole se manifeste nécessairement par une aggravation artificielle des prix. Un peu plus, un peu moins, selon que la production intérieure est plus ou moins limitée, plus ou moins en rapport avec l’étendue des besoins, cette influence désastreuse du

  1. Voyez, dans les livraisons des 15 août et 1er septembre 1846, des 15 janvier et 1er mars 1847, la série de nos études sur la Liberté du Commerce et les Systèmes de Douanes.