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formes représentatives qui leur sont naturelles ; de tout temps, ils se sont réunis pour délibérer sur leurs affaires ; en régularisant ces réunions, sous la direction des bureaux arabes, on obtiendrait, j’en suis sûr, les conséquences les plus heureuses pour l’avenir du pays.

L’Arabe du peuple a bien plus que le paysan français le sentiment de l’intérêt commun. Il ne porte pas ses regards beaucoup au-delà de sa tribu, mais tout ce qui touche sa tribu l’intéresse. Il comprend très bien l’utilité d’un travail public sur son territoire, comme la construction d’un pont, d’un barrage, d’un puits, et on l’a vu plusieurs fois empressé à y contribuer. Il a d’ailleurs des chefs héréditaires, guerriers et religieux, dont il révère l’autorité et qui exercent sur lui une influence décisive. De leur côté, les chefs ont l’habitude de la discussion, du vote en commun. L’organisation traditionnelle des tribus arabes est une féodalité délibérante ; toutes les institutions libres de l’Europe n’ont pas d’autre origine. Rien ne serait plus aisé que de convoquer à Alger, si l’on voulait, un parlement arabe ; je ne crois pas que ce soit à propos, de quelque temps du moins, mais on pourra provoquer souvent des réunions locales plus ou moins nombreuses, pour toutes les questions d’impôt, de travaux publics, d’administration arabe en général, et je ne doute pas qu’on ne s’en trouve bien.

On a déjà confié aux Arabes la garde d’une partie du pays. Chaque tribu est tenue de faire chez elle la police des routes, et la plupart s’en acquittent à merveille. En même temps, les bureaux arabes ont à leur solde une troupe indigène, connue sous le nom de mahkzen, dont les services leur sont fort utiles. Ce n’est pas, à proprement parler, l’ancien mahkzen des Turcs, institution puissante sans doute, mais barbare et dont le principal effet était de maintenir la division parmi les tribus ; c’est une imitation intelligente et appropriée à notre civilisation de ce grand moyen de gouvernement. Les chefs arabes qui commandent pour nous ont à leur tour des cavaliers (khiela) et des fantassins (askar) que nous entretenons pour leur servir de garde, sans parler des goums ou contingens qu’ils sont obligés de tenir sur pied. Cette organisation est admirable, elle fait le plus grand honneur à M. le maréchal Bugeaud, qui l’a empruntée à Abd-el-Kader ; il suffirait de lui donner un peu plus d’essor pour constituer une force armée arabe considérable et dévouée.

Je suis moins frappé des avantages que peuvent présenter ce qu’on appelle les corps indigènes réguliers, les bataillons de tirailleurs et les spahis. L’organisation de ces corps repose sur un faux principe, la fusion ; avec un Arabe, quelque soin qu’on prenne, on ne fera jamais un bon soldat européen. Il vaut mieux qu’il nous serve à sa manière, en conservant la plus grande part de sa liberté. Les bataillons indigènes et les trois régimens des spahis coûtent d’ailleurs fort cher, comme