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Aux rayons de la lune, dont les pâles clartés argentaient le visage, les épaules nues et la robe blanche de Sacramenta, on l’eût prise pour une de ces fées nocturnes qui dansent au milieu des clairières, quand tout dort dans les forêts.

Le regard indifférent et presque dédaigneux que la jeune fille laissa tomber de côté sur le Jarocho, l’expression de colère jalouse qui se lisait clairement sur les traits de ce dernier, m’eurent bientôt révélé un de ces drames douloureux, une de ces luttes de la coquetterie et de l’amour qu’on retrouve partout sous le ciel. Calros ne paraissait pas cependant un de ces hommes accoutumés à voir dédaigner leurs hommages. Un air de distinction marquée faisait valoir la mâle beauté de sa physionomie. Le Jarocho attendit patiemment que la danse fût finie, et, fendant les groupes formés devant nous, il s’avança vers la jeune fille sans plus s’occuper de moi que si je n’avais eu, en fait d’hospitalité, que l’embarras du choix. Arrivé près d’elle, il mit pied à terre. J’étais trop éloigné pour saisir ses paroles ; néanmoins, grace aux clartés qui, s’échappant d’une cabane voisine, tombaient à flots sur Calros et Sacramenta, je pus observer une pantomime suffisamment significative. Je ne doutai pas que Calros ne s’excusât au sujet du ruban rouge qu’il n’avait pu se procurer ; mais il était clair pour moi qu’il plaidait sa cause avec un succès des plus médiocres. Un sourire moqueur se dessinait sur la figure de la jeune fille ; ses grands yeux noirs semblaient exprimer une ironie si impitoyable, que le pauvre garçon parut complètement découragé. Le Jarocho l’écouta en caressant la poignée de corne de son machete, tandis qu’un nuage plus sombre encore couvrait de nouveau sa figure ; puis, rappelant sans doute son orgueil, un instant dompté, il fit deux pas en arrière, et mit le pied à l’étrier pour s’éloigner. Cependant, avant de se remettre en selle, il jeta sur la jeune fille un dernier regard, mais un regard irrité. Sacramenta y répondit en secouant la tête par un mouvement tout empreint d’une grace provoquante ; une des fleurs de suchil qui ornaient sa chevelure se détacha et vint rouler sur l’herbe près d’elle. Le Jarocho regarda avec indécision cette petite fleur qui s’était flétrie sur le front de celle qu’il aimait. La jeune fille parut d’abord ne pas prendre garde à l’hésitation de Calros ; puis, tandis que ses deux mains assujétissaient de nouveau sa coiffure odorante, par un geste d’une coquetterie qu’eût enviée une femme de nos salons, elle montra du bout de son petit pied chaussé de satin bleu la fleur qui gisait sur l’herbe. Une joie ineffable vint rayonner sur la figure du Jarocho, qui se baissa vivement, ramassa tout heureux ce frêle gage d’espérance, et, s’élançant sur sa selle, se perdit bientôt dans l’ombre.

Il était évident que, dans l’excès de son bonheur, Calros ne pensait plus à moi. C’était naturel ; mais il était naturel aussi que je ne voulusse