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diminuera évidemment la consommation ; la fabrication et les salaires qu’elle distribue iront aussi se réduisant. Mais, en jetant les yeux tant sur les exportations de l’industrie française à l’étranger que sur les importations de l’industrie étrangère parmi nous, on aperçoit des effets bien autrement désastreux pour les ouvriers.

En 1846, la dernière année pour laquelle soient rendus les comptes de l’administration des douanes, nous avons exporté pour 186 millions de nos produits naturels et pour 666,300,000 francs d’objets manufacturés. On classe comme produits naturels ceux de l’agriculture et de la pêche, quoique la valeur presque entière de plusieurs d’entre eux soit due à ces ouvriers qui s’appellent des laboureurs et des matelots. Nous ne plaçons à l’étranger ces 852 millions de marchandises qu’à la condition de soutenir, par la modération de nos prix, la concurrence des marchandises étrangères qu’elles y rencontrent. Des cerveaux malades peuvent rêver l’abolition de la concurrence à l’intérieur ; mais on a beau la considérer sous le point de vue le plus faux et le plus étroit, force est de l’accepter en dehors de la frontière, à moins qu’on ne renonce, comme en Icarie, au commerce extérieur. Élevons le prix de toutes nos marchandises par l’application du décret du 2 mars à toutes nos manufactures ; elles ne luttent plus avec l’étranger à armes égales, et nous sommes exclus du marché du monde civilisé.

Ce n’est pas tout : notre frontière n’est pas fermée aux produits étrangers ; dans cette même année 1846, nous en avons reçu pour 920 millions, dont, il est vrai, 608 de matières nécessaires à l’industrie. Les principes de la fraternité universelle venant en aide aux doctrines du libre échange, l’accès de notre territoire deviendra de plus en plus facile aux marchandises du dehors ; elles viendront faire concurrence aux nôtres à la porte de nos propres manufactures, et si nos ouvriers, oubliant qu’en fait d’industrie le temps c’est de l’argent, n’ont pas la même capacité de travail que leurs rivaux, les effets d’une concurrence établie sur de pareilles bases sont faciles à prévoir.

Ainsi, la limitation de la durée du travail journalier tend à réduire la production française dans toutes ses branches,

Par la diminution de la consommation intérieure ;

Par la cherté des produits français sur les marchés étrangers ;

Par l’infériorité de prix des produits étrangers sur le marché français.

Quand ce triple résultat sera atteint, quel sera le sort de nos ouvriers ?

Les ateliers les conserveront-ils tous en réduisant les salaires journaliers proportionnellement à la masse du travail ? Ce sera l’égalité, mais l’égalité de misère.

Maintiendra-t-on, au contraire, les salaires individuels en ne conser-