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ouvriers neuchâtelais coûtait moitié moins que celui des nôtres. Dans une industrie où la matière première est si peu de chose comparativement à la main-d’œuvre, la supériorité était invinciblement fixée du côté de la frugalité, et la bonne organisation du ménage, bien plus puissante que celle du travail, procurait, avec de moindres salaires, une existence plus large et plus douce. Ce n’était pas le seul bienfait qui découlât de ce régime : les ouvriers suisses capitalisaient des sommes qui se dissipaient chez nous ; la plupart étaient propriétaires de leurs maisons, de leurs jardins et atteignaient un degré d’aisance dont se feraient difficilement une idée les personnes qui n’ont point vu la Chaux-de-Fond et les villages environnans. Beaucoup d’entre eux travaillaient en commun à leur compte, avec leurs propres capitaux, et ces avantages étaient un témoignage de plus en faveur de leur manière de vivre, car c’était par là qu’ils les avaient conquis.

Une année plus tard, en 1834, les ouvriers en soieries de Lyon se soulevaient en inscrivant sur leur bannière ce cri douloureux et menaçant : Vivre en travaillant ou mourir en combattant. Quelles que fussent les arrière-pensées des chefs de l’insurrection, des souffrances réelles leur avaient servi d’auxiliaires, puisqu’on les avait suivis ; et, pour que le remède fût efficace, il fallait écarter toute incertitude sur la nature du mal. Le ministère et l’administration locale ne furent pas seuls préoccupés de la recherche des moyens de prévenir le retour de convulsions sous lesquelles pouvait succomber la seconde ville de France. Les personnes qui connaissaient le pays et l’industrie qu’il s’agissait de sauver remarquaient que le rétablissement de l’équilibre entre les besoins et les ressources de la population ouvrière ne pouvait pas s’obtenir par l’augmentation des salaires ; la limite leur en paraissait invariablement fixée par la concurrence de l’industrie étrangère et même de celle de plusieurs villes de France. On ne pouvait donc, à leur avis, atteindre le but que par une série de mesures tendant à la réduction du prix des subsistances par l’extension du rayon d’approvisionnement de la ville, à l’abaissement des loyers par l’ouverture de nouveaux champs de constructions, à l’encouragement à l’économie par la création de placemens pour les petites épargnes, à la moralisation des travailleurs pauvres par la perspective d’une condition meilleure. On évaluait à 6 millions les dépenses nécessaires à la réalisation de ces améliorations. « Il est toujours fâcheux, disait-on, d’avoir à proposer, dans un gouvernement représentatif, une dépense extraordinaire, et l’on objectera peut-être qu’on ne présente ici que des remèdes éloignés pour un mal présent. Une enquête sur la situation de Lyon pourvoirait à ces deux inconvéniens. Elle prouverait que la dépense sera productive et sauvera, avec bénéfice pour le trésor, la plus belle industrie de la France.