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qu’il a perdu, à supposer qu’il eût jamais cette folle ambition. Qu’il sorte donc de l’école comme il en est sorti pour écrire les Deux Feuilles pacifiques, qu’il renonce aux discussions abstruses, et, ne prenant dans les travaux de la science moderne que les résultats clairs et incontestables, qu’il s’adresse, non plus aux savans, mais à l’Allemagne tout entière. Son influence sur ce terrain nouveau sera mille fois plus considérable, et ceux qui croient l’avoir laissé derrière eux envieront la place qu’il se sera faite. Tel est, je le désire du moins, tel est le but que semble poursuivre M. Strauss dans le brillant et ingénieux pamphlet qu’il vient de nous donner, Ouvrons-le donc sans autre préambule ; — le professeur est dans sa chaire, l’auditoire est nombreux, et le sujet de la leçon est l’empereur Julien l’apostat.

Vous connaissez l’empereur Julien, vous connaissez cet héroïque et ingénieux dilettante qui prétendit opposer son enthousiasme rétrograde à l’irrésistible mouvement de l’humanité ? Vous savez quel était son culte passionné de l’hellénisme ? En vain la religion du Christ avait-elle ouvert à l’esprit de l’homme les routes merveilleuses de l’avenir ; Julien, les regards tournés vers le passé, employait follement ses facultés brillantes à restaurer une civilisation frappée de mort. Il y aurait peut-être quelque chose de touchant dans ce dévouement opiniâtre à une cause désespérée, si ce n’était avant tout un prétentieux amusement de l’esprit. Ne croyez pas, en effet, que l’ame de Julien fût animée d’une piété sincère et profonde ; Julien est un artiste, ce n’est nullement un croyant ; son imagination est en feu, son cœur est libre. Quand son intelligence à la fois éclatante et faible, hardie et puérile, s’obstine à ne point voir le grand travail philosophique du genre humain et la cité universelle qui s’élève, quand il s’enferme dans l’étroite enceinte du monde grec où le retiennent les enchantemens de la culture païenne, quand il songe à faire revivre toutes les castes, toutes les institutions du moyen-âge, quand il joue au pontife et qu’il s’amuse à rebâtir la cathédrale de Cologne… Mais qu’ai-je dit ? c’est de Julien que je parlais. Pourquoi ma pensée, malgré moi, court-elle vers Berlin ? Pourquoi songé-je au moyen-âge ? C’est que, Julien ou Frédéric-Guillaume IV, peu importe, ils sont confondus avec nu art si habile, ils sont si ingénieusement mêlés l’un à l’autre dans le pamphlet de M. Strauss, qu’il serait impossible, en vérité, de faire à chacun sa part. Ainsi, laissez-nous toute la liberté dont nous avons besoin. D’ailleurs, nous avons les textes ; textes sacrés, textes profanes, rien ne nous manque ; Grégoire de Nazianze, Libanius, Ammien Marcellin, Zozime, tous les écrivains du ive siècle nous ont livré leurs secrets, et notre érudition est aussi fine que sûre, aussi spirituelle que hardie. Gardez-vous donc bien de vous récrier si un anachronisme nous échappe ; il y a des anachronismes qui sont plus vrais que l’histoire. Encore une fois, c’est