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cru que le vrai, le juste, le beau n’existaient pas ailleurs qu’au fond du moyen-âge. Dans le domaine de l’art, cette école a rendu quelques services précieux, et c’est là ce qui a long-temps embrouillé la question. Le romantisme, cela est bien certain, a eu un admirable sentiment des inspirations du peuple ; il a éveillé le goût des littératures primitives, et la poésie, épuisée par les abstractions, a trouvé dans ces sources rafraîchissantes une jeunesse inattendue. Cependant les écrivains distingués de cette école ont fait payer bien cher à l’Allemagne l’influence heureuse qu’ils avaient exercée sur une partie restreinte des études littéraires ; ils ont engourdi les aines, ils ont éteint peu à peu ce fier sentiment de la vie qui avait animé depuis Lessing un si grand nombre, d’intelligences supérieures. Aux héros de la pensée et de l’art, à cette grande famille où brillent Fichte et Schiller, Herder et Jean-Paul, Goethe et Hegel, on a vu succéder, vers le commencement de ce siècle, un groupe d’esprits brillans et malades, de songeurs mélancoliques, de mystiques illuminés, qui osèrent dédaigner la grande époque dont nous sommes les fils, et qui se plongèrent tout enivrés dans un moyen âge menteur que construisait leur imagination éblouie. De là une direction fatale imprimée aux lettres ; de là, sur bien des points, l’affaissement de l’intelligence publique. Ce furent les Annales de Halle qui, vers 1840, attaquèrent le plus résolûment cette tendance et en dispersèrent pour jamais les derniers représentans. Toutefois, chassée de la poésie, la superstition du passé se réfugia plus haut. N’est-ce pas cette même année, en 1840, que le romantisme politique monta sur le trône avec Frédéric-Guillaume IV ? Dès-lors, la simple critique littéraire ne suffit plus. Il fallut, une fois pour toutes, attaquer la réaction en face ; il fallut, dans la politique et dans la, religion, poursuivre, l’épée de feu à la main, les fantômes détestés du moyen-âge. Tous les écrits sérieux de la presse politique allemande, depuis huit ans, ont vécu sur cette idée, et le pamphlet de M. Strauss résume aujourd’hui cette longue discussion avec un calme, une netteté, une supériorité invincibles.

Avant de commencer son portrait de l’empereur Julien, M. Strauss explique très ingénieusement une difficulté bizarre dont on n’avait pas encore le secret. D’où vient que, dans l’appréciation de l’apostat, tous les historiens modernes aient pour ainsi dire changé de rôle ? D’où vient que Julien ait trouvé tant d’indulgence auprès des écrivains de l’église et tant de sévérité chez les philosophes ? Au XVIIIe siècle, le piétiste Gottfried Arnold, dans son Histoire ecclésiastique, se porte le défenseur de Julien, et au contraire le philosophe Gibbon, tout en louant les qualités éminentes du neveu de Constantin, ne dissimule nullement la répugnance profonde qu’il éprouve pour sa personne. De nos jours, on s’est beaucoup occupé de Julien, et le même phénomène s’est reproduit. Un historien philosophe, un des adversaires déclarés du mysticisme,