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condamnable. Les chefs-d’œuvre de la poésie antique, en effet, ne sont pas seulement les livres sacrés des païens, ils ont une vie plus haute, ils sont le patrimoine de l’humanité tout entière, le patrimoine de : tout homme qui pense, de toute intelligence éprise du beau et passionnée pour le vrai. Saint Basile et saint Grégoire de Nazianze ont droit à cette nourriture de l’esprit aussi bien que Libanins et Zozime. « Je vous abandonne tout le reste, s’écrie saint Grégoire de Nazianze, les richesses, la naissance, la gloire, l’autorité et tous les biens d’ici-bas dont le charme s’évanouit comme un songe ; mais je me saisis de l’éloquence et je ne regrette pas les travaux, les voyages sur terre et sur mer que j’ai entrepris pour l’acquérir. » - Et nous aussi, s’écrie M. Strauss, nous affirmons que les livres du Nouveau Testament ont une immense valeur historique en dehors des intérêts d’église ; croyans ou non, ils nous appartiennent ; nous ne regrettons pas nos longues veilles, nos investigations patientes, tous les efforts que nous avons faits pour atteindre la vérité dans ces questions vitales ; et, de même que l’édit de Julien n’a pas empêché les chrétiens de commenter Homère, les persécutions des romantiques modernes n’enlèveront pas aux penseurs le droit d’analyser les Évangiles et de les expliquer à la foule.

Nous venons de voir chez Julien le souverain pontife ; le roi n’est pas moins curieux à examiner de près. C’est la prétention naturelle du prince romantique de s’attribuer une royauté de droit divin. Julien le fait expressément dans cette épître à Témisthius où il s’approprie les belles paroles d’Homère : « Le pasteur des peuples a besoin d’une assistance plus qu’humaine, les dieux seuls peuvent l’aider à accomplir toute sa tâche. » Ce sont les dieux en effet, car Julien y revient sans cesse, dans l’Epître aux Athéniens, dans le Septième discours, etc. ; ce sont les dieux qui l’ont appelé au trône et qui maintes fois lui ont révélé leur volonté dans des apparitions merveilleuses. Or, ce que Julien disait aux Athéniens, Frédéric-Guillaume IV, en 1840, ne le disait-il pas aux députés de la noblesse qui le félicitaient sur son avènement- ? .« Je sais, messieurs, que je tiens ma couronne de Dieu seul, et qu’il m’appartient de dire : Malheur à qui la touche ! mais je sais aussi, et je le proclame devant vous tous, je sais que cette couronne est un dépôt confié à ma maison par ce Dieu tout-puissant ; je sais que je dois lui rendre compte de mon gouvernement, jour par jour, heure par heure. Si quelqu’un d’entre vous demande une garantie à son roi, je lui donne ces paroles ; il n’aura ni de moi, ni de personne sur la terre, une caution plus solide. » Ainsi, à quinze cents ans de distance, et malgré tant de changemens profonds dans les choses humaines, une même situation a dicté un même langage.

N’oubliez pas non plus ce trait si important, ce trait commun à tous les princes romantiques : ils en appellent au droit divin, mais ils n’y