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mais aujourd’hui que vous l’avez vaincu, et que, sincèrement ou non, il essaie de faire alliance avec les idées nouvelles, l’ancienne polémique serait sans force. Plus de voiles, plus de déguisemens ; dégagez-vous des formes surannées ; que la controverse religieuse retourne au fond des écoles, et que l’esprit de ce siècle délie enfin la langue de l’Allemagne !

Combien d’inconvéniens, en effet, dans ce mélange de théologie et de politique ! Pour que l’excellent pamphlet de M. Strauss puisse faire son chemin, il faut le débarrasser des erreurs qui gênent sa marche et qui lui fermeraient bien des esprits. Le premier mérite de ces sortes d’écrits est de se rendre accessibles au plus grand nombre, M. Strauss l’avait compris d’abord, et le sujet qu’il a choisi est une de ces questions générales qui appartiennent, non pas à une école, mais à tout homme qui pense. De quoi s’agit-il en effet ? Il s’agit de savoir si le passé a un droit contre le présent et l’avenir, si la restauration des choses mortes est menaçante pour la liberté, s’il est possible enfin d’arrêter cette impulsion souveraine que Dieu imprime à l’intelligence de l’homme. Le problème est net, et le bon sens de tous y verra clair. Je regrette seulement que M. Strauss n’ait pas laissé de côté bien des argumens techniques, et surtout certaines théories particulières à son école. Il y a chez lui le publiciste et le théologien ; que le théologien prenne garde de ne pas nuire au publiciste, ou plutôt que le théologien s’efface et que le publiciste parle seul. Si M. Strauss avait donné à sa polémique une direction plus droite, s’il avait parlé le langage de la liberté et de la raison, il n’eût pas été entraîné à reproduire dans un écrit politique toutes les bizarreries, toutes les erreurs d’une école suspecte. Pourquoi mêler, par exemple, à une discussion toute populaire les conclusions inacceptables de la nouvelle théologie hégélienne ? Quand M. Strauss met en présence l’étroite religion du moyen-âge et les grands principes de la pensée moderne, il est dans le vrai, et son enseignement va droit au but. Mais pourquoi identifier le christianisme et le moyen-âge ? pourquoi les enchaîner violemment, et, parce que l’un est mort, proclamer l’éternelle déchéance de l’autre ? Pourquoi surtout nous donner comme résultat de cette étude le panthéisme sensuel de quelques docteurs égarés ? La jeune école hégélienne applaudira : est-ce là tout ce que voulait M. Strauss ? est-ce au nom d’une secte qu’il a pris la parole ? Je lui attribuais, je l’avoue, un dessein plus élevé.

M. Strauss a nettement expliqué ses sympathies pour l’hellénisme de Julien, et il a très bien vu ce qu’il y a d’éternel dans la civilisation antique. Je crois qu’il devait au christianisme la même impartialité. Quand le christianisme parut, le monde païen renfermait deux élémens très distincts, une religion morte et cette noble culture de l’esprit, qui survécut