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par méplats que dans le sens du développement extrême de la courbe ; le muscle est profondément inscrit ; la sommité de l’os nettement indiquée, et jamais, aux attaches, le tendon n’est ni dissimulé ni complètement enlevé, comme chez les sculpteurs de la forme ronde et développée.

Cette absence de mouvement et cette froideur de l’attitude qui n’ont rien de commun avec le style, cet empâtement et cette rondeur de la forme qui ne servent trop souvent qu’à l’effacer et à la dissimuler, la plupart des défauts, en un mot, qu’on peut reprocher à la statuaire du commencement du siècle, furent le résultat d’une sorte de réaction systématique contre les traditions du XVIIIe siècle. L’école de l’antique mettait une sorte de puérile affectation à éviter tout contour, toute forme, toute attitude accentuée qui pussent rappeler les statuaires du siècle précédent, qu’elle ne regardait que comme des élèves dégénérés de Michel-Ange ou du Bernin. Ce dernier, il est vrai, régnait dans toute sa gloire lorsque le grand Colbert avait établi l’Académie de France à Rome, en 1665. Son influence s’était fait aussitôt sentir parmi les jeunes statuaires français. La vivacité particulière à notre nation n’était guère propre à tempérer cette fougue excessive qu’on reprochait au maître italien ; elle garantit toutefois nos statuaires d’une imitation trop servile. Même dans leurs écarts, ils conservèrent quelque chose de cette clarté et de ce naturel propres au génie français. Il y a plus : quelques-uns de ces artistes, si décriés il y a trente ans, exploitèrent avec un succès réel cette veine nationale indiquée par Puget en dépit de Girardon. Bouchardon, Coustou, Pigalle, Allegrain, Houdon, furent certainement plutôt Français qu’Italiens. Ils cherchèrent un style particulier, un genre de beauté propre à la nation, et si leurs tentatives ne furent pas toujours heureuses, si le beau leur échappa, s’ils ne le remplacèrent qu’imparfaitement par cette grace conventionnelle, par ce genre de beauté un peu factice qui réside surtout dans l’expression vive et gracieuse, dans l’intelligente mobilité des traits, du moins furent-ils originaux et nationaux. Il est certes fâcheux qu’au lieu de retourner directement et absolument à l’antique, sans tenir aucun compte des efforts que ses devanciers venaient de tenter, et en haine même de ces efforts, la génération qui suivit n’ait pas persisté dans le sens national. Les traditions du XVIIIe siècle modifiées par l’étude naïve de la nature, l’inspiration intelligente de l’antique, eussent produit des résultats supérieurs à ceux que l’école néo-grecque nous a laissés.

Nous ne sommes pas de ceux qui répudient aveuglément tout le passé et qui ne rendent hommage qu’aux gloires contemporaines. Si nous désapprouvons le système qui présida aux travaux de la statuaire de la période impériale, nous reconnaissons toutefois que quelques hommes surent, en dépit de ce système, garder une sorte de personnalité et prendre dans l’art un rang que la postérité leur conservera. Indépendamment de Canova et de Thorwaldsen, dont la gloire est européenne,