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elle doit à son abondance même, que le marbre ne peut qu’imparfaitement reproduire au moyen de masses informes, un aspect des moins agréables. Ajoutons que le marbre pentélique, dans sa nouveauté, est peu favorable à la reproduction si délicate des formes nues d’une belle femme ; quand l’exécution est récente encore et que le temps n’a pas éteint le miroitage de ses innombrables paillettes, leurs facettes nuisent à la finesse du modelé et à la suavité du contour : vues de près, les chairs paraissent comme grêlées ; mais ici ce n’est pas le sculpteur, c’est la matière qu’il faut accuser. Au total, on reconnaît le maître dans l’œuvre de M. Pradier ; pourtant son inspiration a été souvent plus heureuse et son exécution plus parfaite.

La facilité qui distingue avant tout les ouvrages de M. Pradier ne se rencontre pas au même degré dans la Clytie de M. Lescorné. Cette œuvre révèle néanmoins de sérieux efforts et n’est pas sans mérite. L’attitude de l’amante délaissée d’Apollon est excellente ; le mouvement du torse et l’agencement des bras indiquent suffisamment l’action. Toute la partie supérieure du corps semble accompagner le mouvement de l’astre sur lequel les yeux sont fixés, et cela sans tomber dans l’exagération et le style contourné. La tête est un peu faible d’expression, les traits du visage sont communs ; nous aurions voulu que la nymphe fût plus belle. Le ventre, cet écueil de l’art de la statuaire, contre lequel tout le talent du sculpteur vient souvent échouer, est lourd, pendant, sans grace. C’est la nature sans doute, mais la nature vulgaire, fatiguée, vieillie. Les muscles n’ont plus l’élasticité nécessaire pour maintenir les intestins, et l’abdomen tombe. On sent trop que le modèle qui a posé pour la Clytie mange, boit et digère. Les jambes sont traitées avec talent, la gauche surtout est excellente. Le défaut des œuvres de ce genre, défaut qu’on rencontre dans la Rêverie de M. Jouffroy, dans l’Haïdée de M. Husson, c’est l’absence d’un caractère bien tranché. On désirerait quelque chose de plus personnel et de moins banal, soit dans la pensée, soit dans la forme, soit dans le faire. L’oeuvre est exécutée avec conscience et talent ; on la dirait irréprochable, et cependant ni le goût ni l’esprit ne sont satisfaits. Pourquoi ? Parce que l’originalité est absente. Il y a néanmoins une intention assez heureusement rendue dans la tête de la Rêverie de M. Jouffroy. Cette tête exprime bien le recueillement, mais la statue ne pouvait-elle pas s’appeler tout aussi bien la Méditation que la Rêverie, et cela d’autant mieux que l’attitude ne nous paraît pas indiquer d’une façon suffisante l’espèce de complète prostration où tombe le corps quand la tête l’oublie pour se perdre dans les domaines de la pensée ? Ces idées métaphysiques et toutes modernes ne sont pas, à notre avis, du ressort de la statuaire, plus propre à exprimer une action positive, une pensée nettement caractérisée, qu’à traduire des abstractions ou des nuances