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qu’on ne se mît pas en dépense pour fêter son arrivée. Certain poêle de velours noir (à franges noires et crespines de fil d’or, brodé aux écussons et devises de la duchesse de Chartres) obéra la ville pendant un an. Les communes ressemblaient alors à ces grand’-mères qui mettent leur bonheur à se déranger pendant huit jours pour donner aux petits-enfans, qui viennent les voir le dimanche, un magnifique repas et une indigestion.


(1531, 19 mars.) « Ayant appris par la commune renommée que la reine devait passer par Chartres, on envoya un homme exprès au lieu où elle étoit pour savoir de ses maitres-d’hôtel son intention, afin que MM. les échevins pussent y pourvoir en la meilleure forme. — M. de Thiville, maître-d’hôtel de la reine, écrivit à MM. les échevins que la reine feroit son entrée à Chartres le jeudi suivant 21. Alors l’assemblée de ville ordonna que la dame reine seroit recue à faire son entrée en la ville le plus honorablement que faire se pourroit par la porte Drouaise ; qu’il seroit fait porte de tapisserie en la basse cour de porte Drouaise et autres lieux où besoin seroit ; que les habitans de la rue du Muret tendroient chacun en droit soy et à ciel par le hault ; qu’il seroit fait un ciel de satin ou damas de la couleur de ladite dame avec franges et quatre hâtons et châssis pour porter ledit ciel et autres choses nécessaires. On commit pour porter le ciel quatre échevins, lesquels seroient vêtus d’une robe de damas noir, sayons de velours noir et pourpoints de satin cramoisy à leurs dépens ; et que pour supporter ces frais il leur serait baillé à chacun, par le receveur des deniers communs, 25 livres tournois ; que les autres échevins, avocat et greffier de la ville, auroient chacun 10 livres tournois pour assister à ladite entrée et s’accoutrer le plus honnêtement ; que MM. les bailly et lieutenant-général auroient chacun 18 livres, le procureur et contrôleur des deniers communs chacun 5 livres, les avocat et procureur du roy en ce duché chacun 2 livres, pour avoir un bonnet à ladite entrée ; les clercs et serviteurs de la ville, chacun une robe de la livrée d’icelle. On ordonna en outre qu’il seroit fait présent à ladite dame de vingt-cinq poinçons de vin et cinq cents minots d’avoine, qui est pareille quantité qu’on a coutume de donner au roi quand il fait son entrée. On enjoignit aux arbalétriers de se trouver à la tour du roi à Chartres, où il leur seroit dit ce qu’ils auroient à faire pour cette entrée. On ordonna également qu’il seroit fait théâtres et échafauds bien honnêtes, ès lieux les plus commodes, parés et accoutrés, sur lesquels seroient faits mystères, ainsi qu’il seroit avisé, avec écusson du roi et de la reine. — La reine fit en effet son entrée à Chartres le 21 mars 1531 (1532 ), en grand triomphe et magnificence. MM. les échevins présentèrent à aucuns des seigneurs suivant la reine six pintes d’hypocras blanc et clairet, avec une douzaine de pommes d’orange. Les clercs de la tour du roi reçurent de la ville, pour aller au devant de la reine, un étendard de dix aulnes de taffetas blanc et noir qui coûtèrent 15 livres tournois. Cet étendard fut ensuite déposé en la chambre. »

Au milieu de ces enfantillages solennels et de ces efforts incomplets d’organisation, que devenait la ville ? Elle était mieux pavée, mieux aérée, mieux éclairée. Les ribauds de nuit avaient disparu ; les meuniers et les fermiers commençaient à vivre largement. La farine et le blé