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cherchant une direction qu’on ne trouve pas. Il semble qu’on n’ait pas la libre possession de soi-même. C’est comme cela que l’assemblée nationale a paru jusqu’ici presque aussi bourgeoise que pas un parlement qui l’ait précédée. Le mot n’est dans notre bouche ni précisément un éloge, ni certainement une injure. C’est un fait que nous constatons.

L’assemblée nationale renferme cependant assez d’élémens et nouveaux et divers pour qu’elle puisse bientôt sans doute offrir une physionomie plus originale. Un Bonaparte montant à la tribune, de simples ouvriers assis au bureau, un pasteur protestant et un moine dominicain se traitant publiquement de confrères, partout les noms inconnus mêlés aux anciens noms : ne sont-ce pas là les signes du temps ? Il serait d’ailleurs impossible de classer dès à présent ces neuf cents personnes qui n’ont guère eu l’occasion de se distinguer et de se rapprocher. Trois groupes seulement se détachent assez sur ce fond obscur et mouvant de l’assemblée pour qu’on puisse déjà les voir en relief. Ce sont les vétérans de la cause libérale que nous sommes heureux de retrouver encore en si grand nombre, les membres de la vieille gauche parlementaire, depuis ses rangs les plus avancés jusqu’au centre : le pays leur a rendu même justice à tous, parce qu’ils avaient tous également servi sa dignité. Ce sont ensuite ceux que nous appellerons les continuateurs du parti catholique d’autrefois, comme autrefois s’appuyant plus ou moins sur les légitimistes, mais se recrutant aussi dans une école démocratique qui naît d’hier au monde officiel. C’est enfin un certain noyau d’interrupteurs téméraires, d’orateurs impérieux, de prétendans déçus, de conspirateurs quand même, qui font tout ce qu’ils peuvent pour qu’on dise qu’ils sont la montagne. Nous qui les apercevons de loin très clair-semés et comme égarés sur cette cime ardue qui, en langage plus moderne, est tout bonnement le dernier banc de l’extrême gauche, nous nous contenterons par politesse de les nommer des excentriques.

Nous ne prétendons pas démêler à l’avance les rapports qui pourront s’établir entre ces différens groupes et la masse même de l’assemblée ; nous manquons encore des notions indispensables à toute combinaison parlementaire, et les combinaisons doivent être longues à se former dans un milieu si neuf. Voici cependant un point sur lequel nous voulons affirmer : nous croyons que l’ancien parti libéral du régime constitutionnel doit obtenir tôt ou tard, par la seule force des choses, une prépondérance efficace dans les délibérations de l’assemblée républicaine. Il est un souvenir clair jusqu’à l’évidence pour toutes les mémoires de bonne foi : avant le 24 février, l’opinion la plus populaire, la plus considérable par le nombre comme par la qualité des adhérens, l’opinion de l’immense majorité, c’était dans toute la France l’opinion libérale et modérée qui a conservé tant d’organes dans le nouveau parlement. Tous les vainqueurs du 24 février ne s’éloignaient pas d’elle autant qu’ils voudraient aujourd’hui le faire croire, et quelques-uns d’entre eux se seraient assez volontiers accommodés de son triomphe pour attendre très patiemment le leur. Aujourd’hui, ce parti se trouve presque reconstitué sur le terrain parlementaire, grace à la vertu même du suffrage universel, qui a confirmé en son honneur les votes des électeurs privilégiés. Il a loyalement accepté son nouveau mandat. La base de son credo monarchique, c’était le culte de l’institution, ce n’était pas le culte de la personne ; il l’a bien prouvé. Le cours des événemens emportera d’ailleurs bientôt toutes