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moins à ce repos majestueux et surhumain, à cette oisiveté constitutionnelle que les publicistes imposent au souverain dans plusieurs états de l’Europe. Le palatin règne et gouverne, il est la tête et la main ; cette institution particulière à la nation hongroise s’est identifiée profondément avec son histoire ; elle y est aussi ancienne que la royauté elle-même, dont elle est tantôt la représentation, tantôt la limite et le contrôle. Depuis surtout que la dignité de palatin a été conférée par l’élection des états et qu’elle est devenue une magistrature à vie[1], ses prérogatives ont été plus nettement fixées ; elles rivalisent avec celles du pouvoir royal. Aujourd’hui, malgré les décrets restrictifs qui ont suivi l’établissement de la monarchie héréditaire (1687), le palatin est encore élu librement par la diète parmi quatre candidats dont la présentation appartient au roi. Tout magnat hongrois peut être palatin. En fait, depuis l’époque de Marie-Thérèse, où Palfy et Bathiany furent élus palatins, les princes seuls de la maison impériale ont été appelés à ces fonctions ; mais le droit subsiste tout entier, et, si l’archiduc Joseph était mort avant que son fils eût atteint l’âge de la majorité, on eût vu sans doute quelque seigneur hongrois porté par le suffrage de ses égaux à cette suprême dignité.

Cette institution est le seul débris qui subsiste encore en Europe des précautions prises au moyen-âge par l’esprit de liberté contre le pouvoir absolu. Mme de Staël a dit avec raison « que ce n’était point le despotisme, mais la liberté qui avait droit d’aînesse en Europe. » S’imaginer que la liberté n’est que d’hier, et qu’elle n’a pu exister que sous les formes savamment compliquées qu’elle a revêtues de nos jours, est une erreur dont l’étude de l’histoire fait promptement justice. Seulement on procédait par d’autres voies. Là où la liberté moderne a établi des assemblées, des conseils, qui doivent servir de contre-poids, de barrière au pouvoir royal, le moyen-âge confiait cette mission à un ou deux magistrats : on avait plus de confiance dans la vertu des caractères individuels ; d’ailleurs les degrés, si divers alors, des existences sociales mettaient certaines situations plus en rapport avec le but que se proposait la politique. Croit-on qu’à cette époque un pair de France, comme le duc de Normandie ou de Bourgogne, n’arrêtait pas les empiétemens du pouvoir royal aussi bien que la chambre des pairs sous la restauration ? Peu importent donc la forme et les moyens : sous des noms divers, cette limitation, ce contrôle du pouvoir absolu se retrouve dans toutes les anciennes monarchies de l’Europe ; mais deux états en ont offert le modèle le plus complet : l’Aragon dans le grand justicier établi à côté et quelquefois au-dessus des rois, la Hongrie dans son palatin. La constitution a entassé sur la tête du palatin tant de pouvoirs, confondu tant d’attributions diverses, que cet instrument calculé

  1. Décret de la diète de 1439 et de la diète de 1526.