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pas moins un très haut degré de prospérité. C’était de sa rade mal abritée que partaient ces précieux galions qui répandaient en Europe une profusion de richesses métalliques bien supérieure aux trésors si vantés du Potose.

Aujourd’hui il ne reste plus à Vera-Cruz, de son ancienne splendeur, que de bien rares débris. Trop grande pour une population amoindrie, la cité, si florissante au temps des vice-rois, ne cherche plus à lutter contre la décadence qu’annoncent au voyageur ses maisons vides et ses rues désertes. Le vent de la mer y déchaîne en pleine liberté ses redoutables rafales, qui émiettent les murs délabrés des palais et enlèvent aux canons placés comme bornes sur les quais des couches épaisses de poussière métallique. Tout, à Vera-Cruz, rappelle d’ailleurs les villes d’Orient, depuis les riches et pittoresques costumes de la population jusqu’à l’aspect des habitations et des édifices. Ce ne sont partout que dômes aux couleurs variées, clochers élancés, balcons ornés de massifs grillages, et, comme pour ajouter encore à la ressemblance, les femmes de la classe élevée ne se montrent presque jamais dans les rues. Pour les apercevoir, il faut pénétrer dans l’intérieur des maisons ou bien sortir après le coucher du soleil. Alors seulement un murmure de voix mystérieuses, le bruissement d’un éventail, quelques pâles et blanches figures qu’éclaire la lune derrière une jalousie à demi soulevée, révèlent la présence des Véracruzaines à l’étranger que la fraîcheur du soir et les parfums de la brise marine ont attiré sur les trottoirs de granit.

Battue d’un côté par l’Océan qui dégrade son admirable môle, sourdement assiégée par des amas sablonneux qui se déplacent et s’élèvent sans cesse, Vera-Cruz, de nos jours, ne cherche à combattre ni l’accroissement des dunes ni les ravages des vagues. Le vent du nord-ouest chasse devant lui des tourbillons épais de sables ramassés dans les déserts qu’il a franchis, et forme lentement, depuis des siècles, derrière la ville une circonvallation de collines mouvantes. Ces dunes ou médanos, continuellement augmentées par de nouveaux renforts, changent, selon les caprices du vent, de place et de configuration : les unes sont pressées comme les flots de la mer ; les autres se dressent en pyramides du sommet desquelles la brise, en se jouant, enlève, comme de la crête des lames, des embruns[1] continuels. Les entassemens de ces médanos, dont beaucoup s’élèvent, à une hauteur de quatre à dix mètres, menacent à la longue l’existence de Vera-Cruz ; mais comme le danger n’est que lointain, et que dans les pays chauds on vit au jour le jour, les habitans laissent à leurs neveux le soin de le conjurer. Un autre péril plus sérieux en ce moment résulte de l’obstacle que les médanos opposent à l’écoulement des eaux pluviales. Des lagunes se forment ainsi

  1. Embrun, en termes de marine, signifie la bruine que les vagues forment en brisant.