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que par de sinistres figures, par des guerriers sauvages à la taille athlétique, au regard inquiet, et la main droite toujours appuyée sur une ceinture garnie de redoutables pistolets.

Bien que ce dénûment d’une part et cette humeur belliqueuse de l’autre semblent propres à donner aux vœux politiques des Bosniaques un caractère précis, il serait beaucoup plus difficile de les définir que ceux des Bulgaro-Serbes. Les Bosniaques se débattent, il est vrai, dans l’anarchie la plus douloureuse pour tous, paysans ou seigneurs ; mais ils sont tellement aveuglés par leurs haines mutuelles et ils croupissent dans un tel état d’ignorance, qu’ils sont incapables de comprendre leurs vrais besoins et de se concerter pour en obtenir la satisfaction. Ils n’en sont que plus à craindre peut-être pour le gouvernement, qui est obligé quelquefois de recourir à de grandes expéditions armées pour les pacifier. Cet esprit d’insubordination qui ne formule point ses griefs, mais qui se manifeste à tout propos, perdrait pourtant beaucoup de sa vivacité, si le divan, sans promettre dès ce jour aux paysans bosniaques le droit commun des Serbes, s’occupait du moins de régler leurs rapports avec les seigneurs. Il ne s’agirait pas d’extirper d’un seul coup les dernières racines du système féodal ; mais on pourrait, sans porter trop d’ombrage à la susceptibilité des capitaines jaloux de leurs privilèges, transformer successivement la condition déplorable des populations laborieuses, les attirer par la reconnaissance ; et, après les avoir soustraites ainsi à l’autorité oppressive et malfaisante des seigneurs, on en finirait avec cette féodalité redoutable pour entreprendre la réorganisation du pays sur les bases de cette législation sociale que la Serbie possède et que la Bulgarie réclame. Toutefois les Bosniaques n’en resteront pas moins des retardataires dans le grand mouvement de progrès qui entraîne toute la nation illyrienne vers un avenir plein de mystère et d’attrait.

Les Bulgares et les Serbes, peuples belliqueux comme les Bosniaques, sont cependant plus pacifiques, grace à une législation plus équitable. Lorsqu’on parcourt les vastes champs et les vertes vallées de la Bulgarie, les puissantes forêts des montagnes serbes, malgré la physionomie toute militaire des populations, on s’aperçoit bientôt que l’on est parmi des hommes simples, amis du travail et du repos. Ces rudes visages et cette fière stature cachent des sentimens d’une douceur qui tient de celle de l’enfant, et ces deux pistolets religieusement chargés, toujours à la ceinture, ne sont qu’un ornement inoffensif et un jouet viril. Les Bulgares, quoique laborieux par tempérament, les Serbes, quoique libres dans leurs travaux, ne visent point à la richesse. Entrez dans leurs modestes cabanes, elles se présentent d’abord sous un aspect sombre et triste, et avec une apparence de nudité qui ne séduit point. Souvent une large pierre est placée au milieu d’une vaste pièce ; c’est