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elle avait commencé. Le Times ne cesse de conseiller aux Italiens de s’accommoder avec l’Autriche et de prendre garde à l’invasion française. L’Angleterre n’est plus du tout révolutionnaire en Italie ; elle aurait, dit-on, assisté avec un calme imperturbable aux horribles scènes qui viennent d’ensanglanter Naples, et elle ne parait pas trop déplorer la cruelle humeur des Suisses et des lazzaroni, qui ont vaincu et massacré les bourgeois démocrates pour le compte du roi Ferdinand. C’est absolument l’opposé en Espagne et en Grèce : M. Bulwer et sir Edmond Lyons semblent prendre à tâche d’exagérer les fantaisies belliqueuses de lord Palmerston. Ils sont de fondation les amis et les auxiliaires des conspirateurs ou des rebelles de tout genre. Sir E. Lyons n’a pas encore été pris en flagrant délit, comme M. Bulwer, mais il a fini par remporter un succès analogue : il a complètement soulevé la Grèce et provoqué l’indignation nationale contre son ami M. Mavrocordato et contre tout le parti anglais. En voyant le parti anglais intriguer avec les Turcs, fomenter la guerre civile lors des dernières insurrections de Velentza et de Papacosta, pousser enfin de partout à l’anarchie, les Grecs ont compris que ce n’était pas seulement à la France qu’en voulait sir E. Lyons, puisqu’il restait le même et d’un tempérament toujours aussi nuisible après la retraite de l’heureux et intrépide adversaire que la France lui avait opposé ; les Grecs ont compris que l’on s’attaquait à l’honneur et à la fortune de leur pays. Pour M. Bulwer, l’échange fâcheux de correspondances diplomatiques auquel il se livrait, en véritable amateur d’imbroglios espagnols, s’est terminé brusquement par un vrai coup de théâtre : le général Narvaez a tout bonnement mis à la porte le représentant de sa majesté britannique. Ce qu’il y a de pis pour lord Palmerston et pour son agent très habile et très dévoué, c’est que les choses se sont passées de telle façon qu’il est difficile de pouvoir honnêtement se fâcher d’un procédé pourtant par trop soldatesque. M. Bulwer aurait été dûment atteint et convaincu d’une complicité active dans les séditions qui deux fois en deux mois ont ensanglanté Madrid et Séville. Il prétend, pour tout dire, et prouve assez bien qu’il n’aurait agi que par ordre. Nous verrons ce qu’en pense lord Palmerston, et nous attendons avec une certaine impatience les explications promises au parlement. On peut affirmer d’avance que le mot de toute cette politique anglaise, la raison qui la rend à la fois conservatrice en Italie, séditieuse en Grèce et en Espagne, c’est le besoin de s’asseoir au Midi pour parer aux éventualités qui se préparent à l’Occident et dans le Nord.

De leur côté sans doute aussi, les Russes s’apprêtent. Pendant qu’ils menacent d’intervenir à main armée dans la querelle du Danemark, ils continuent leurs vieilles intrigues auprès de la Porte. Le ministère qui a remplacé Réchid-Pacha à Constantinople ne leur appartient pas, il est vrai, tout entier : c’est un ministère mixte et de transition ; mais la transition est glissante et vaut bien la peine qu’on la ménage de loin. Singulière destinée pour un homme d’état formé, comme Réchid, à l’école constitutionnelle des pays d’Occident de tomber encore sous une intrigue de sérail ! Le sérail sera-t-il donc toujours l’arsenal de la diplomatie russe ? Un mot seulement encore en passant pour caractériser l’attitude actuelle de cette diplomatie par rapport à l’Europe. L’autre mois, le prince Stourdza, vainqueur d’un essai de révolution tenté par ses boyards, affichait dans les rues de Jassy la communication