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promis d’inaugurer en toute vérité, si la notion de droit n’est pas universellement sentie et sacrée sous le régime de l’égalité, comme elle l’était jadis chez nous, comme elle l’est encore en Angleterre sous le régime du privilège, la république n’est rien ; qu’on nous ramène aux carrières.

Telle est la pensée qui, depuis le 15 mai, nous poursuit et nous obsède sans relâche. Ce crime de lèse-nation ne sortira pas de si tôt de notre mémoire, et ce n’est pas nous qui consentirions jamais à le prendre assez légèrement pour en parler avec indulgence. Nous, au contraire, nous avons à cœur de dire sur qui, dans un événement aussi déplorable, sur qui nous appelons d’abord, à défaut de rigueurs plus positives, toutes les sévérités de l’opinion.

Il y a des natures malfaisantes, qui se plaisent à la destruction pour le plaisir de détruire ; il y a des esprits à l’envers, qui s’irritent très sincèrement de voir toujours le monde à l’endroit ; il y a des cervelles vides, qui s’échauffent jusqu’au délire aussitôt qu’il s’amasse trop de foule et qu’il luit trop de soleil sur la place publique. Ces malignes influences, ces élémens désordonnés de tumulte et de ruine s’agitent en permanence à toutes les époques au fond des grandes masses d’hommes. Nous n’avons à leur égard ni beaucoup de commisération ni beaucoup de colère. Il faut corriger ce mal-là tant qu’on peut l’extirper s’il est incorrigible ; c’est le mauvais sang des sociétés. Que la majesté de l’assemblée nationale ait été outrageusement violée par les ennemis de la loi, le fait en lui-même nous désole, comme nous désolerait un assassinat commis au coin d’un bois sur une route mal gardée ; mais qu’un pareil crime ait été d’avance excusé, sinon préparé, dans le catéchisme révolutionnaire des orateurs et des agens de la république du jour, que le prestige essentiel de l’assemblée nationale ait été presque systématiquement amoindri, qu’il soit même, après une pareille crise, encore offensé par ceux qui lui devraient la plus complète déférence, voilà vraiment ce qui nous indigne, voilà ce qui nous force à craindre que le dogme moderne de la souveraineté du peuple ne soit pas en mains sûres, et que la république ait besoin d’autres éducateurs pour devenir enfin république de droit.

La souveraineté du peuple, l’unique base du droit moderne, ne peut pas s’exercer chez une nation de 30 millions d’individus sous les formes palpables qu’elle devait revêtir dans les républiques municipales de l’antiquité. Le nombre immense des citoyens les empêchant de participer à la souveraineté autrement que par délégation, leurs délégués sont pour tout le temps de leur mandat la représentation vivante et exclusive de la souveraineté. Le mandat une fois émané du suffrage universel et périodiquement renouvelé, l’insurrection n’a plus de titre à faire valoir pour compter périodiquement aussi comme pouvoir constituant, pour s’autoriser du masque et du nom de la souveraineté populaire : le suffrage universel supprime en principe l’usage de l’insurrection. C’est là dans sa substance toute la théorie républicaine : le droit moderne dont elle part est un droit abstrait. Cette abstraction se trouve malheureusement, en France, aux prises avec une réalité formidable. Paris, siège et berceau de la république, pèse sur l’idée pure de la souveraineté du peuple de tout le poids de sa force matérielle, et semble toujours sur le point de substituer à l’expression régulière et organisée de cette souveraineté générale l’intervention immédiate et violente de son Ilion d’habitans. La notion du droit nouveau n’a