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se ruait sur le palais de l’assemblée ; elle a obscurci la notion du devoir chez beaucoup de ceux auxquels la république avait remis le soin de sa défense. Il est évident que, faute d’avoir assez solidement assis l’idée d’un gouvernement de droit, le nouvel ordre républicain n’a pas été très spontanément soutenu par tous les a gens de son choix contre le gouvernement de fait qui le dépossédait. Cette invasion oppressive d’un fait révolutionnaire dans la légalité régénérée n’a pas soulevé contre elle assez d’horreur chez tous ceux qui passaient pour avoir clos la révolution et l’avoir même close à leur bénéfice. Ils ne se sont pas trouvés assez vite armés pour l’empêcher de renaître, parce qu’ils n’étaient pas pénétrés d’un respect assez sérieux, d’un dévouement assez énergique pour son principe, enfin accompli dans les institutions, pour le principe de la vraie souveraineté du peuple. Ils se rappelaient trop le 24 février ; ils oubliaient trop que la chambre, dispersée sous leurs yeux, n’était plus la représentation des 200,000 privilégiés de l’argent, mais l’expression complète du peuple entier de la France ; ils ne se sentaient pas bien sûrs que ce ramas d’émeutiers aux bras nus et aux drapeaux rouges ne fût pas lui-même le peuple souverain. Il se formula même au milieu de cet effroyable tumulte un raisonnement qui, de l’avis intime de beaucoup trop de gens, dominait la situation. Le Moniteur le rapporte ; on est bien obligé de l’en croire. « Tu es un fameux farceur ! cria-t-on à M. Ledru-Rollin, c’est toi-même qui t’es nommé le 24 février ! »

Si M. Ledru-Rollin n’eût pas à l’avance, dans ses circulaires, discrédité la voix véritable de la France, s’il n’eût pas permis à ses amis et à ses journaux d’attaquer le caractère, de rabaisser la mission de l’assemblée, seul organe compétent du pays, s’il n’eût pas fait constamment de la foule en insurrection la représentation exclusive et prépondérante de la souveraineté populaire, M. Ledru-Rollin n’aurait pas été embarrassé de répondre au démagogue qui l’interpellait. Disons mieux, l’attentat abominable qui ébranlait l’unique base de droit sur laquelle repose la république lui aurait peut-être inspiré plus d’indignation qu’on n’en sent à travers ses propos de ce jour-là ; il n’aurait pas, même en cherchant, trouvé d’éloges pour les violateurs audacieux de la dignité nationale ; il ne leur aurait pas parlé de leur modération et de leur bon sens : investi du pouvoir exécutif, il se serait tu et il aurait agi. Et M. Louis Blanc enfin, s’il n’avait pas eu dans sa propre infaillibilité une foi plus robuste que celle qu’il accordait à la légalité républicaine, M. Louis Blanc, qu’une protection inexplicable couvrait encore hier des suites de son mauvais pas sur l’Aventin ridicule où il s’est réfugié, M. Louis Blanc n’aurait pas causé si chaudement avec ces singuliers travailleurs qui travaillaient d’un si beau zèle à démolir l’ordre social, pour fonder l’anarchie antisociale des utopies. Il ne serait pas monté à cette tribune, déshonorée par un affront si criminel, pour nommer les coupables de ce doux nom d’amis, inventé comme une recette à l’usage de sa popularité. Il n’eût pas été l’ornement de cette pompe triomphale conduite par les vainqueurs sur le lieu même de leur victoire, il eût su se dérober aux épaules de ses adorateurs frénétiques, si son ame possédée de la passion du droit, au lieu d’être fanatisée par le culte de ses rêves, n’avait trouvé dans ce triomphe qu’impuissance et niaiserie.

Il est un homme aussi qui, le 15 mai, représentait avec une triste origi-